1 - Un ticket pour le ciel

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C'était la première fois que Jimin venait à Chypre

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C'était la première fois que Jimin venait à Chypre.

L'atterrissage du 747 n'avait pas été assez souple à son goût, et le personnel de bord était pour le moins ombrageux. Mais Jimin ne faisait pas du tourisme, il ne pilotait pas non plus : il courait après un job, après une année entière de recherches, d'entretiens, de tests, dans un nombre incalculable de compagnies - et pas toutes prestigieuses. Malgré ses trois barrettes, malgré une expérience de plusieurs années chez Air Free, compagnie aérienne thaïlandaise, il avait été remercié en même temps que tous les pilotes qui volaient pour la « boîte » en faillite. Les autres étaient tous recasés et, quand il y songeait, le jeune homme ne pouvait s'empêcher d'en concevoir une certaine amertume. Amertume qui s'était transformée en angoisse quand il avait cru devoir se résigner au chômage... ou abandonner définitivement sa passion pour trouver, sur le plancher des vaches, une activité honnête et convenablement rémunérée.

Mais que savait-il faire d'autre que d'arracher au sol des tonnes d'aluminium et d'acier et des humains en mal de dépaysement, confiant leurs vies et leurs âmes à ceux qui, dans le cockpit, savent vaincre la pesanteur et réalisent tous les jours le vieux rêve d'Icare ? Rien. Il ne savait rien faire d'autre. Il ne voulait rien faire d'autre.

En surfant sur Internet, il avait découvert une proposition qui, sans être alléchante, était susceptible de l'intéresser et de mettre fin à ces recherches décourageantes. Combien d'entretiens avait-il subis ? Combien de tests avait-il effectués ? Les grandes compagnies européennes licenciaient à tour de bras, les compagnies africaines qui, elles, semblaient en mal de personnel navigant, refusaient systématiquement les candidatures étrangères, les compagnies asiatiques ne semblaient pas recruter et serraient plutôt la vis. plus, il y était certainement blacklisté. Alors, il avait répondu à l'annonce de Blue Sky Airlines, compagnie de charters d'origine indéterminée, basée à Chypre. Et il avait rendez-vous avec Constantin Huevas, le dirigeant de la compagnie.

À quoi devait-il s'attendre ? Il en avait rencontré, en un an, des directeurs des ressources humaines ! Il avait produit ses diplômes, exhibé ses certificats, démontré ses capacités. Tous - ou presque - avaient salué son cursus et... son charme. Certains l'avaient pressé d'accepter une invitation à dîner, aucun ne l'avait engagé. Des gros, des petits, des chauves, des beaux, des laids, des obséquieux et des prétentieux : il aurait pu faire une galerie de portraits de ces décideurs. Pas un n'avait décidé de lui faire confiance.

Comment serait-il, ce Constantin ? Grec ou turc ? Gros ou maigre ? Il s'en fichait, après tout. Il voulait cette place. On était le 13 octobre et c'était le jour de son anniversaire. Pas n'importe quel anniversaire : il avait trente ans. Il se disait que, si ce M. Huevas repoussait sa candidature, ces deux jours à Chypre seraient une sorte de cadeau, un lot de consolation, une manière de passer le cap de la trentaine en Méditerranée. Et comme l'anxiété commençait à l'étreindre et qu'il faisait virer ses pensées au noir, malgré la lumière éclatante qui baignait Larnaka, il s'apitoya un moment sur son sort. Seul. Il était seul dans la vie. Seul pour se battre contre la sournoise discrimination dont il se sentait victime parce que homosexuel, dans un univers professionnel où les hommes virils et hétéronormés faisaient la loi. Seul pour profiter de cette lumière et de ce ciel bleu. Mais il était mieux, seul, que mal accompagné.

Escale amoureuse - JIKOOKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant