Pilote hors pair, Jimin sait que sa place est dans un cockpit. Et cette immobilisation forcée, après la faillite de sa compagnie, commence à lui coûter.
Pas facile, pour un homme homosexuel, de retrouver un siège dans un monde d'hommes hétéronormés...
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Dans ce que le personnel navigant appelait le « backstage » de l'aérogare, Jimin avait pris connaissance du plan de vol et des prévisions météo. Le profane aurait perdu son latin à la lecture de tant de chiffres et de signes mystérieux, le jeune homme y trouva tout ce qu'il fallait savoir sur l'avion : son identification, son stock de kérosène, la vitesse d'altitude prévue, l'itinéraire, le timing, les conditions météo annoncées, et même les noms des pilotes. Il suivit des yeux des lignes colorées, des chiffres et des pictogrammes sur une carte déployée. Il éprouva une joie réelle à lire son nom sur le document, à côté de celui de Serge Chaïev, son commandant de bord (son « CDB », comme on disait dans le jargon).
Jimin était absorbé par sa lecture quand une voix le fit tressaillir. Il n'avait rencontré, jusqu'à cette heure, que le personnel au sol de l'aéroport dont le trafic, apparemment, n'était pas saturé ce matin-là. C'était une voix mâle, forte et caverneuse, dont il perçut tout de suite l'ironie, derrière un accent à couper au couteau. Un accent qu'il devina slave, étant donné le patronyme :
_ On est bien studieux, on veut faire bonne impression ? railla la voix qui roulait les r.
Jimin leva la tête. L'homme venait vers lui, dans son uniforme qui ne laissait aucun doute : c'était bien le commandant.
_ Serge Chaïev, dit-il en lui tendant la main. Vous êtes mon copilote ?
_ Park Jimin...
_ Ah. Je croyais que Jimin était un prénom féminin. Je m'étais préparé. Je vous aurais laissé le choix, vous savez : copiloteuse, pilotrice ou pilotesse. Je suis féministe dans l'âme. Les femmes veulent piloter, alors que ni la nature ni la langue ne l'avaient prévu, il faut combler cette lacune. Il paraît que l'Académie n'a pas tranché, alors qu'auriez-vous choisi : piloteuse, c'est pas mal, ça fait pétroleuse... non ?
Le jeune homme choisit de ne pas répondre. Il s'était levé et regardait l'homme évoluer dans la pièce, comme chez lui. Il s'était assis dans un fauteuil, avait croisé les jambes et le regardait, se régalant apparemment de la situation :
_ Alors comme ça, on va s'envoyer en l'air tous les deux ?
Il fit mine de ne pas comprendre la plaisanterie :
_ J'ai là le plan de vol, si vous voulez...
_ Ah non, mon chou, ça, c'est votre boulot ! Moi, je suis le « pacha » ! Ça veut bien dire ce que ça veut dire, non ? Vous avez combien d'heures de vol dans les ailes ?
_ Cinq mille ! répondit fièrement Jimin.
_ Et c'est encore tout frais, tout rose...
Le regard égrillard de Chaïev, plus encore que ses propos, gênait Jimin, qui se décida à décliner son cursus :
_ J'ai travaillé quelque temps pour la Varig et pour Japan Air, mais il est devenu quasi impossible d'être embauché dans de grandes compagnies, j'ai donc intégré Air Free mais j'ai été licencié après la faillite.
