2 - Salle d'embarquement

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Quelques mois plus tard, dans la navette qui le conduisait de Paris à l'aéroport de Beauvais, Jimin n'était pas passé inaperçu

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Quelques mois plus tard, dans la navette qui le conduisait de Paris à l'aéroport de Beauvais, Jimin n'était pas passé inaperçu. L'uniforme que Blue Sky Airlines fournissait à son personnel navigant n'était pas vraiment seyant. Il avait hérité d'un costume mal coupé et trop grand pour lui, et d'une casquette qui avait dû appartenir autrefois à une troupe de majorettes atteintes par la limite d'âge.

Mais il était souriant : il retrouvait l'émotion qui précédait les départs, il se sentait à nouveau exister et dans quelques heures il serait aux commandes du Boeing 707 de sa nouvelle compagnie. Il n'avait pas encore rencontré le pilote.

Yannis Cantilzoglu, beau-frère de Constantin Huevas, qui dirigeait l'agence parisienne de Blue Sky, rue de Tolbiac, lui avait fourni l'uniforme et quelques informations supplémentaires sur ses nouvelles fonctions. L'homme n'était pas moins désagréable que son associé. Mais il en était le contraire au physique : maigre, le cheveu noir et gominé, il était aussi taciturne que Huevas était volubile. Si la tapageuse jovialité de son parent frisait la grossièreté, l'austérité de sa mine faisait presque peur.

_ N'oubliez pas qu'en cas de problème, Constantin sera votre seul interlocuteur ! avait-il annoncé, se défilant d'entrée de jeu.

_ Et le pilote ? avait demandé Jimin, espérant rencontrer son coéquipier avant l'heure H.

_ Oh, il sera là au moment du départ !

Dans la navette, il regardait les voyageurs en se demandant lesquels seraient sur son vol. Il ne donnait pas à voir son excitation, essayant seulement de ne pas se sentir trop emprunté dans son costume d'opérette. Il croisa le regard d'une femme d'un certain âge qui lui sourit.

À Beauvais, la navette débarqua ses passagers et ils gagnèrent la salle d'embarquement où les attendaient leurs futurs compagnons de vol. Tous avaient les traits tirés : il était tôt et ils avaient déjà pris qui le train, qui la voiture pour arriver dans cet aéroport dont la vocation était de réguler le trafic des deux autres aéroports parisiens. Comme les taxes étaient moins élevées qu'à Roissy ou Orly, nombre de charters utilisaient ses pistes et son aérogare.

Dans la salle d'embarquement, le vol pour Charm el-Cheik et Assed Kebir était annoncé à 10 h 20. Les passagers en attente levaient régulièrement les yeux vers les écrans qui annonçaient les atterrissages et les décollages : une façon d'occuper le temps. Ils s'étaient délestés de leurs bagages au stand de Blue Sky. On les sentait à la fois pressés de s'envoler et en proie à une inquiétude diffuse qui s'exprimait comme elle pouvait. Les uns commentaient les mouvements des avions sur les pistes, derrière la verrière, les autres grignotaient des friandises, distribuaient des taloches aux enfants qui, excités, couraient dans tous les sens entre les alignements de fauteuils. Des conversations se liaient entre ces inconnus un peu dépaysés et qui avaient déjà envie de créer des liens.

Minji était morte de peur. C'était la première fois qu'elle prenait l'avion, et elle promenait son regard sur les passagers en pensant : « S'il y a un accident, c'est avec ces gens-là que je mourrai. » Son mari Pierre, elle le savait, partageait sa peur. Mais il essayait de n'en rien montrer, les yeux obstinément fixés sur les panneaux d'affichage. Minji passa en revue la centaine de personnes réunies là. Elle les trouva sympathiques. Tous avaient collé sur leur bagage à main la vignette de Blue Sky : le profil d'un avion blanc sur fond bleu. Étiquetés ainsi, ils allaient partager le même destin pendant quelques heures. « Combien de temps faut-il à un avion pour tomber de 6 000 mètres ? » se demandait Pierre, le mari de Minji. « Vaut-il mieux s'écraser sur la terre ferme ou dans la mer ? » Lui aussi allait inaugurer son tout premier vol - et il ne pouvait pas s'empêcher d'être mort de trouille. Il serra la main de sa femme. C'étaient leurs enfants qui leur avaient offert ce voyage et le séjour à l'hôtel Mansour à Assed Kebir, en Egypte - vue sur la mer et pension complète. L'occasion, c'était le cinquantième anniversaire de leur mariage. « Cinquante ans, se dit Pierre, ça passe vite, alors quelques minutes pour décrocher du ciel !... »

Escale amoureuse - JIKOOKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant