Une nuit... 20 ans plus tard 

20h43. Le soleil venait de s'effondrer à l'horizon. Il cédait sa place à la nuit naissante, ouvrant enfin la cage du monde de l'obscure...

Allongé sur le ventre, la peau nue au contact direct du matelas poisseux, je sentis mes muscles encore raidis se réveiller un à un.

Ma carapace de grès commençait sa douloureuse implosion.

Se tordant par spasmes brefs, mon corps reprenait vie, et forme humaine.
Épaule droite puis gauche qui se contractent, passage énergique sur le dos, pointes de pied vers le ciel, dos qui s'allonge et bras qui s'étendent de chaque côté de mon corps en éveil...

Pareil aux félins, étirer ma carcasse me permettait d'être immédiatement d'attaque en cas de besoin et surtout, d'éliminer toutes les toxines accumulées la veille. Je terminais d'appliquer machinalement ma routine primaire de prédateur qui se respecte quand ma main gauche vint heurter une masse ferme pouvant être aussi délicieuse qu'inutile.

— Merde, t'es encore là toi...

Je ne me souvenais plus ni de l'espèce ni du sexe de cette créature à la tignasse bleutée qui se tenait affalée à mes côtés. Je savais juste à l'odeur que ce n'était pas elle... Sil, ma Sil qui pointait aux abonnées absentes depuis maintenant 3 semaines.

— Il faut que tu partes, j'ai à faire, lui lançai-je en même temps qu'un t-shirt bien trop long et bien trop sale pour être le sien.

Je l'entendis grogner sous le drap.

J'avais les avant-bras lacérés. Mais aucun souvenir de comment s'était arrivé... D'un bon, j'atterris sur mes pieds, trois mètres plus bas. Comme toutes gargouilles qui se respectent j'aimais la hauteur. J'abandonnais à lui-même ce corps semi-inerte qui m'avait servi de jouet de substitution. Ma dernière défaite était plus longue et douloureuse à encaisser que prévue. Mon ego en avait pris un coup. Sil me manquait et rien n'arrivait vraiment à la remplacer.

Je ramassai et enfilai mon jean de la veille.

Mon bide criait famine.

Je fulminais car Sil, elle, toujours repue de sa dernière victime de premier choix, aurait tel un python, l'estomac rempli pour au moins deux semaines supplémentaires.

La garce.

Je ne trouvai rien à me mettre en haut. Peu importait. Il fallait que je bouffe de toute façon.

Sans elle, le menu s'imposait de lui-même. Je n'étais pas bon pour les plans, les mets de luxe, l'originalité. Tout ça, c'était sa spécialité. A elle.

Je flairai l'air vicié de Lanistere en quête de l'arôme nourricier d'une brebis égarée. Je connaissais chaque millimètre carré de chacun de ces foutus bleds aux alentours. C'était notre territoire. Notre terrain de chasse. Au-delà du parfum de Sil que j'aurais pu reconnaitre entre mille et sur des kilomètres à la ronde, je cherchais également celui de mon frère. Etrangement absents, tous deux. Je n'aimais pas cette idée. De la savoir seule, elle, cherchant comme à chacune de nos engueulades le réconfort entre ses bras jaloux à lui, mon putain de jumeau. J'eu envie de m'arracher les rétines rien qu'à les imaginer ensemble, sans moi. Où avaient-ils pu bien aller ? Dans quel plan à la con elle l'avait trainé, lui ? Issac, ce double avec qui j'avais tout en commun et rien à la fois. Je sentis la rage me monter aux tripes, s'insinuer dangereusement dans mes veines. Je les haïssais.

Fais chier !

Fidèle à mon cœur meurtris, mon pas s'était accéléré. Instinctivement. Une foulée, un battement, une foulée de plus ; le battement se rapprochait. Encore plus prêt, et encore plus fort. Proche de la course poursuite, mon être avait vrillé. Il y avait bien quelqu'un. Sa silhouette se trouvait maintenant sur ma trajectoire. Ma cible était en vue. Peu m'importait qui. Plus que quelques mètres et cette masse vivante serait mienne. Proche du point de non-retour, je sentis l'électricité mordre chacune de mes vertèbres. L'adrénaline décuplait mes sens. Maintenant au bord du sprint, je décrochai un poing dans la glace d'un arrêt de bus qui vint s'exploser au sol. Un hurlement strident m'échappa et dans un ultime soubresaut, je libérai la fureur de la macabre créature que j'étais. Mes ailes se déployèrent et d'un bond, je décollais. J'avais toujours la haine mais la faim venait de prendre le dessus. Au bout de la rue, se tenait l'homme ; grisonnant mais encore dans la force de l'âge. Parfait. Tétanisé par la scène d'horreur que je lui imposais, il me facilitait la tâche. Je m'emparais au vol de son corps, ballotant déjà comme une vulgaire poupée de chiffon. Tel un sadique carnassier que j'étais, je l'envoyai voler encore un plus haut. Je le regardai chuter quelques secondes et le rattrapai pour l'engloutir en à peine trois hideuses bouchées. Avant même d'avoir touché le sol, ma victime avait entièrement disparue. Sans quasiment laisser de traces...

Repus et en pleine redescente, j'entendais déjà le discours que Sil m'aurai servi en temps normal. « Tu manges trop vite et n'importe quoi. Dans deux jours tu crèveras déjà la dalle. Et puis t'as encore oublié de prendre des fringues de rechange ! Mais merde, grandi un peu Gabe ! ». Je lui aurai alors répliqué que c'était pour mieux l'avoir et la revoir, elle... Manger, baiser. C'était tout de nous. Et là, ce n'était surtout plus du tout...

Elle avait encore raison.

Code -Azarine-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant