Prologue

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Hiver 2004 - La deuxième naissance des jumeaux damnés

De chambre, cette pièce n'en possédait que le nom. La virginité des murs combattait un mélimélo de tubes, branchements et écrans en tout genre. Le silence, réduit en sourdine, se noyait parmi les bips et témoins de surveillance. Je sentis l'adrénaline grimper le long de mes tripes et s'arrêter juste au-dessus de mon estomac. J'aspirais et expirais lentement par la bouche prenant soin ainsi d'éviter tout effluve de javel mêlée à celle bien moins fleurie de son corps meurtri. Car il était là, devant moi, juste à quelques pas.

Il était là ; perdu entre la vie et la mort, mais toujours là. La petite montagne informe qu'il formait sous les draps était inondée de lumière. Intervention divine ? Très étonnant, son âme s'apparentait plutôt à celles des enfants de Satan. Signe du destin ? Surement.

En fait, le soleil venait simplement d'affronter les ténèbres et de percer les nuages. Un rayon filtrait par-dessous le store vénitien bloqué à mi-parcours. La scène n'en restait pas moins à couper le souffle, et l'air ambiant aidait pour beaucoup.

Devant moi : deux chaises. L'une attendait sous la fenêtre en tournant le dos au jour qui s'éveillait. L'autre, juste là à deux pas, veillait tout près du lit. Tout près de lui. Je me rapprochais doucement, mon frère jumeau sur les talons. Malgré toutes ces précautions, nos converses chuintaient sur le sol plastifié. J'avais la désagréable impression de violer son intimité, de ne pas être à ma place. Je poursuivis ma trajectoire jusqu'à la chaise la plus accessible et surtout, la plus proche de la porte, au cas où. Mon frère, tout d'abord hésitant, pris place sur la seconde.

Je déposais un bout de fesse sur le maigre formica en m'interrogeant une énième fois sur la meilleure marche à suivre. Je me repassais encore le discours que j'étais censé réciter si on venait à se faire prendre. J'allais enfin me lancer quand mon esprit se perdit dans les allers venus peu naturels de sa poitrine. Elle se soulevait mécaniquement à intervalle bien trop régulier. Je pris le temps d'écouter les tonalités respectives de chacun des appareils qui le maintenaient vivant. Le ballet était bien orchestré.

Depuis notre arrivée, tout s'enchainait parfaitement, pas une fausse note. J'avais pourtant peur qu'un rouage vint à coincer, que la machine s'emballe, ou pire, qu'il se réveille. J'osais alors m'attarder une dernière fois sur son visage. Il était rasé grossièrement, comme toujours. De toute part s'échappaient des poils plus ou moins blancs. L'ancien tracé de sa barbe lui avait laissé des joues et un menton deux teintes plus claires que le reste de sa tête. Sa peau, foncée, semblait épaisse et était recouverte de taches allant du brun au rouge. Approchant ma main de son bras, je fus surpris par le contraste. Je possédais encore un teint de bébé ; tout à l'opposé du sien, clairement malmené par la rudesse d'un hiver de trop. Les cheveux qui lui restaient, très noirs et fournis à une époque plus glorieuse, penchaient maintenant plus vers le sel que le poivre. Avec nos crinières blondes, Issac et moi n'avions vraiment rien en commun avec lui. Rien, hormis la souffrance. Évidente, elle expiait de ses pores comme elle jaillissait des nôtres par sa faute.

—  Gabe, tu es sûr ? murmura mon frère depuis sa chaise.

— Plus que jamais.

Inspirant profondément, je m'approchai du lit de mon père. Retenant maintenant ma respiration, je vins placer deux doigts de chaque côté de ses narines poisseuses et les pressais l'une contre l'autre...

Sa poitrine chercha à se soulever quelques fois puis les bips s'emballèrent dans un brouhaha infernal.

Quand la ligne du monitoring devint plate, je fis signe à Issac de sortir chercher de l'aide dans le couloir, priant de toutes mes forces pour qu'il soit trop tard.

Et c'est ainsi que sa vie merdique pris fin.

C'est ainsi que celle de mon frère et la mienne démarrèrent enfin.

Une vie reclus le jour dans la pierre et le silence.

Une vie de liberté, de folie et de sang pour chaque heure volée à la nuit.

Une vie d'immortalité...

Code -Azarine-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant