Déterminé

34 8 8
                                    

Ce chapitre ne fait pas partie du concours Pink Lock, mais puisque la vitrine romance y est à l'honneur, j'en profite pour ajouter une histoire indépendante qui aurait pu s'y retrouver avec ce texte de moins de 1000 mots.

Bonne lecture ☺️

***

Naïra tenta de trouver Franz à travers la foule de plus en plus dense. Le père monoparental de sa petite cliente préférée cherchait, depuis des mois, le moyen d'obtenir un rendez-vous galant. Ses tentatives s'étaient toutes révélées infructueuses. Pas que Naïra n'acceptait point, mais plutôt que les catastrophes se succédaient.

Le pauvre homme, bien que très attirant, était poursuivi par la poisse. Les raisons se diversifiaient suffisamment pour croire en une divinité supérieure qui tenait à les séparer l'un de l'autre. D'abord retenu par une fièvre étrange de sa fille qui passa une nuit à l'hôpital, Franz perdit son chien le soir du second rendez-vous. Un ballon de baudruche, tenu par un gamin qui chahutait dans la ruelle, éclata à l'oreille du canidé. Fanfan le chien, déjà surexcité par le stress de son maître qui le poussait à faire ses besoins avant de partir, détala pour ne revenir que quarante-huit heures plus tard. Une fuite de son lave-vaisselle fit tomber à l'eau, c'était le cas de le dire, le troisième rencard, suivie de la gardienne qui se décommanda au dernier moment, puis de son patron qui le retint trop tard pour oser se présenter à la porte.

Il fallait le lui donner, cet homme était déterminé à prouver à Dieu que son plan divin avait une faille. C'est pourquoi, au dernier traitement de sa fille, Franz réitéra l'offre d'une sortie. Naïra accepta sans grande conviction, sachant que ce huitième rendez-vous finirait sûrement aux oubliettes, comme tous les autres.

Et à voir comment la foule compacte du festival artistique se trémoussait sur le grand terrain vague où des spectacles en tout genre étaient présentés, la jeune femme procédait déjà à son extraction. Bousculée d'un côté, propulsée sous l'aisselle nauséabonde d'un skinhead entre deux âges de l'autre, elle fut finalement ballottée de la zone « terre battue » vers la section « champs boueux », là où des étrangers se murmuraient à l'oreille en la dévisageant, elle.

Peut-être que son chapeau orange les intriguait. Elle le portait toujours avec ses petits clients, question de les inciter à parler de sa forme triangulaire, de sa couleur orange et de ses divers écussons représentant les héros et princesses les plus populaires. Cette fois, elle avait envisagé de l'utiliser pour que Franz la retrouve parmi les dizaines de milliers de festivaliers.

Un rire généralisé attira son attention. Une scène de marionnettes trônait devant une assemblée d'environ trois cents personnes. De jeunes enfants étaient assis à même le sol vaseux, les mains occupées à creuser des sillons tout en écoutant le personnage échevelé.

Une maman se recula pour s'aérer tout en gardant un œil sur sa progéniture. Dès qu'elle aperçut Naïra, la femme vint à sa rencontre.

— Vous êtes Tatouille ! s'écria-t-elle.

L'orthophoniste resta ébahie. Seule sa clientèle connaissait son surnom qu'elle employait pour pratiquer les enfants avec des syllabes difficiles. Un père qui riait à gorge déployée l'instant d'avant se tourna pour vérifier.

— C'est bien elle ! hurla-t-il.

Le groupe le plus près cessa de rire et plus de trente humains curieux la dévisagèrent. Elle n'osa pas bouger, mais la femme l'attira vers la scène ou une seconde marionnette était apparue, munie d'un chapeau presque identique au sien.

— Ma girafe s'est faite une entorse au cou ! se désolait le personnage hirsute. Et hier, mon pied a plongé dans la baignoire de mes piranhas.

Un rire général suivit, avant que la dame ne crie à la marionnette que Tatouille était dans l'auditoire.

Aussitôt, la figurine de tissu tomba et la tête échevelée de Franz sortit de sous la scénette.

— Naïra ?

— Franz ?

— Je suis sans voix, commença-t-il devant les spectateurs.

— Hé bien ! J'imagine que nous devrons travailler là-dessus, osa l'orthophoniste pour faire descendre le stress.

— Ou-oui.

— Pourquoi tout ces gens nous observent ? Est-ce que j'ai de la boue sur le visage ?

— Pas du tout. Je racontais toutes les mésaventures qui m'ont empêché de vous amener au restaurant.

— Il disait plutôt « qui l'ont empêché de vous embrasser », siffla un garçon sans cesser de jouer avec la terre.

Les spectateurs rigolèrent et l'un d'eux ajouta que le perroquet déplumé par le chat est sa partie préférée. La jeune femme interrogea Franz du regard qui sortit par la grande fenêtre.

— J'ai peut-être ajouté un ou deux événements, plaida-t-il. C'était pour la bonne cause. Mon ami est sur le carreau et j'ai dû le remplacer au pied levé. Notre histoire m'a semblé idéale pour divertir.

—Tu l'as dit mon Franz, s'esclaffa un père bedonnant.

— Notre histoire ?

— Oui, bien sûr ! Celle que j'espère raconter à nos petits-enfants lorsque nous seront vieux.

— Nos petits-enfants ?

— Ah ! Maintenant, c'est vous qui aurez besoin de prendre des cours. Vous perdez vos moyens en ma compagnie, ma chère Tatouille.

Les enfants rirent en cœur et le jeune père s'agenouilla devant Naïra.

— Dites-moi que nous pourrons prendre un café après cette représentation supplia l'amoureux transi. Je vous promets que toutes ces heures où vous m'avez attendu en vain seront récompensées par des rires spontanés, des soirées cocoonings et de merveilleux restos romantiques.

— Si je n'étais pas intéressée, il y a près d'un an que j'aurais cessé de vous attendre, contra la spécialiste.

La foule, s'écria de joie et Franz embrassa la main de sa partenaire avant de retourner derrière le muret. Il continua ses exploits fort peu glorieux et se découvrit ainsi un talent d'humoriste qu'il dédia à sa dulcinée pour le reste de leur vie.

Rose bleuté (Pink lock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant