Colocataire inhospitalière

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Consigne : Écrire une scène romantique illustrant le sens propre d'une expression française.

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Le soleil de plomb vint caresser le visage brûlé de Mara Petrović. Les rayons s'infiltraient par les interstices des feuilles de palmier qui recouvraient la petite hutte fabriquée vingt-huit jours auparavant. Nul besoin de murs extérieurs dans cet endroit qui aurait pu être paradisiaque. Un simple toit pour leur éviter une insolation était suffisant.

Après avoir ouvert un œil et découvert ce qui se trouvait à quelques pas de leur chaumière improvisée, la jeune mariée se retourna très vite vers son mari qui dormait toujours, le nez dans le sable.

Quatre semaines que leur voyage de noces avait débuté sur les chapeaux de roue. Le couple de globe-trotteurs s'était rencontré sur la cime du mont Kilimandjaro, puis au cours d'un safari en Afrique du Sud. Croyant tous les deux à la destinée, un amour était né quelques mois plus tard alors qu'ils visitaient de nouveau un lieu commun : le volcan éteint Sneffels, situé en Island. Toujours avides de découvrir le monde, les amoureux se marièrent au sommet des chutes d'Iguazú à la jonction entre le Brésil et l'Argentine. Téméraires jusqu'au bout des ongles, ils débutèrent leur nouveau périple en montgolfière.

Pourtant bien au fait des dangers, Javier avait négligé de vérifier l'état de la valve avant d'honorer le corps de sa femme. Peut-être était-il impatient, mais certainement pas autant que Mara qui lui fit oublier toute notion du temps.

Ce n'est qu'en se levant, quelques heures plus tard, qu'il comprit son erreur et ce qui les attendait. Son hélium perdu au gré de la nuit inoubliable, l'engin frôlait les vagues de l'océan Pacifique. Pétrifié, il lui fallut d'abord remettre son caleçon et réveiller sa belle qui gisait, si paisible, sur le matelas de fortune qui avait supporté leurs ébats nocturnes.

— Prends tout ce que tu peux ! s'était-il écrié. On ne va pas se rendre à notre point de ravitaillement. Que l'essentiel, mi amor*! Ton sac ne doit pas te tirer vers le fond.

Comme il le présagea, cela ne prit qu'une toute petite minute pour que leur moyen de transport ne touche la grande masse sombre par manque de carburant. La nacelle avait culbuté au contact de l'eau, se trouvant entièrement immergée avec la majorité de leur nourriture, la part de gâteau de mariage éternellement perdue dans les abysses. Seuls quelques fruits et légumes furent sauvés des flots.

L'île sur laquelle le couple trouva finalement refuge se révéla accueillante sans l'être totalement. Une eau potable circulait dans un petit ruisseau. Quelques bananiers permirent de tenir trois semaines, mais la récolte se tarit. Les mariés avaient blagué sur le fait de vivre d'amour et d'eau fraîche, mais plus les jours passaient et plus la dure réalité les rattrapait. Leurs propres rations déjà entamées depuis une semaine, un unique fruit trônait dorénavant aux pieds du couple.

Une autre ombre au tableau venait davantage ternir leur long séjour sur cet îlot. Une vache solitaire vivait avec eux ou, plutôt, les traitait comme des ennemis. Plusieurs fois, le duo dut courir pour éviter d'être chargé par l'animal furibond.

— Réveille-toi, mon bébé, souffla Mara en secouant son époux.

— Encore quelques minutes mi amor. Ta fougue mérite que je me repose encore un peu. Ne t'en fais pas, je reprends des forces afin de vénérer de nouveau ma femme comme il se doit, s'amusa-t-il en attirant son épouse au creux de ses bras sablonneux.

— Ce n'est pas le point ! Rajzaren** nous fixe.

La vache enragée soufflait par ses narines, faisant voler le sable à proximité. Aussitôt, Javier se redressa, prêt à sauver sa compagne. Il agrippa le sac à dos rouge pour le faire voleter en mouvements brusques devant la bête. La vache crispa ses quatre pattes. Les muscles tendus, elle pencha la tête et creusa la terre de ses sabots avant pour préparer son assaut.

— Cesse d'agiter du rouge devant elle ! s'écria Mara, désespérée par l'illogisme de son mari.

— Je ne veux pas perdre ma femme, chuchota Javier tout en abaissant son arme de tissu. Rajzaren n'a jamais hésité à nous attaquer. Reste derrière moi, mi amor, je te protégerai de ma vie, s'il le faut.

Fière de son valeureux époux, mais extrêmement stressée par la venue de Rajzaren jusqu'à leur endroit secret, Mara ne se fit surtout pas prier pour acquiescer à la demande de Javier. Elle se déplaça à genoux, consciente que la vache la suivait de ses yeux démoniaques.

Arrivée en sécurité, elle découvrit que la bovine ne la toisait plus mais qu'elle reniflait plutôt en direction des pieds de Javier, à l'endroit exact où se trouvait leur dernière ration : une pomme à la pelure ratatinée.

Les naseaux dilatés, la vache s'avança tandis que le jeune homme tentait d'arracher une branche de leur hutte sans détacher son regard de l'animal, attiré par le fruit défendu.

— Elle va nous voler notre repas, geignit Mara en tapant l'épaule de son mari. Fais quelque chose.

— Désolé de te décevoir mi amor, mais je n'ai pas encore trouvé comment. Tu as une idée de ce qui pourrait la repousser entre le sac à dos, ta nuisette et mon tube de dentifrice ?

— Fais pas l'andouille ! T'as une branche dans les mains.

— Elle n'est pas plus longue que mon bras. Si elle décide de charger, je vais y passer, et toi aussi. Tu la connais, elle n'aime pas qu'on lui force la main.

— Ok, bébé, c'est moi qui vais te sauver. Mais juste au cas où ça ne fonctionnerait pas, embrasse-moi une dernière fois.

— Je sais que tu m'aimes, mais j'ai trop peur de te perdre ! s'exclama Javier avec un regard voilé d'amour pour sa compagne. Je serais incapable de supporter ta mort.

— Merci, mon bébé. Je t'aime aussi, mais c'est elle ou nous.

Et sans que Javier ne s'y attende, Mara se rua jusqu'à la pomme desséchée et en prit une bouchée. La chaire blanche exposée, elle tendit le bras vers l'animal qui s'approcha, attiré par l'odeur si délectable.

À pas feutrés, la jeune mariée, se glissa à l'extérieur, suivie de près par la bête qui se retourna vers la femme. La queue dans le visage, Javier ne put que constater le courage de sa douce qui risquait sa vie pour le sauver. Un acte d'amour inconditionnel envers l'homme de sa vie.

Lorsque la vache enragée poussa un meuglement digne d'un film d'horreur, l'explorateur jugea qu'il était temps d'intervenir et sauta sur le dos de l'animal, sa branche de fortune comme arme létale. Cabrant son dos Rajzaren** rua contre le poteau de la hutte. L'habitation précaire s'écroula tandis que Javier dégaina sa branche acérée pour protéger l'amour de sa vie. L'animal poussa un autre mugissement avant de s'effondrer, les yeux révulsés et la langue pendouillant jusqu'au sablon.

— Bravo mon chéri ! s'exclama l'aventurière. Je vais enfin pouvoir te préparer un repas digne de ce nom. Mon guerrier aura besoin de toutes ses forces pour gratifier sa femme, rigola-t-elle en lui tendant la pomme défraîchie.

Comme promis, les amoureux se délectèrent de la vache enragée autour d'un feu de détresse. Sans être un souper aux chandelles, l'idée de partager un festin au clair de lune, en compagnie de la personne aimée, se révéla plus que délicieuse. Les mots doux fusèrent, les vêtements disparurent derrière les plantes aborigènes et Javier eut la récompense qu'il méritait. Celui-ci n'oublia pas d'offrir la même rétribution à son épouse adorée qui apprécia la nouvelle vigueur de son époux.

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*Mon amour en espagnol
**Enragée en bosniaque

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Voilà ! Mon expression était : Manger de la vache enragée

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Rose bleuté (Pink lock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant