Chapitre 13

104 8 0
                                    


-47 euros et 50 centimes, me lance la caissière avec un accent purement sudiste, ponctué d'une horrible mastication de chewing-gum ne datant pas d'aujourd'hui.
Tout chez cette femme était repoussant, ses dents jaunes, le teint blafard de sa peau, ses longs cheveux gras filasses tombant par paquet sur ses épaules beaucoup trop carrées. Pourtant, l'anneau en toc qu'elle arborait fièrement à son annulaire trompait la logique qui aurait voulu qu'elle n'ait aucun amant, époux ou même petit copain. Rien. Et pourtant ...
- Oui ... Bien sur, je réponds en commençant à fouiller dans les poches de mon jean. Mais ou est ma monnaie !?
- Non laisse, Jaden. Je m'en occupe ! lance ma sœur d'un ton jovial.
Elle se penche sur le comptoir, se rapprochant de la caissière.
- Hum ... Patricia ? épelle t-elle en regardant attentivement l'étiquette agrafée au tee-shirt de la caissière. J'ai oublié mon argent dans ma voiture et j'ai une flemme incroyable... Je ne pense pas que j'irai chercher cet... argent... Les yeux d'Elizabeth se mirent alors à changer de couleur. Des onces de doré se glissèrent dans ses iris. Telles des arabesques, elles prirent possession de son regard. La caissière en face d'elle eut l'air tout de suite moins assurée. Mal a l'aise, elle se tortilla légèrement sur sa chaise pivotante.
- Euh... Je... Enfin je veux dire... hésita t-elle.
- Oui? répondit Élizabeth.
Ma sœur était, sans aucun scrupule, en train de manipuler l'esprit d'une mortelle. Et ce d'une manière admirablement puissante et rapide.
- Élizabeth, lançais-je doucement pour la ramener à la raison.
- Je suggère que le magasin nous offre nos achats... dit ma sœur.
- Bien... enchaîna mollement la caissière, je suggère que le magasin vous offre vos achats...
- Élizabeth ! dis-je soudainement, l'avertissant.
- Maintenant ! dit Élizabeth sans se soucier le moins du monde de moi, ses yeux devinrent alors d'un doré sombre.
- Maintenant...
Je posais ma main sur l'épaule de ma sœur, lui murmurant un avertissement qu'elle seule pourrait entendre, serrant son épaule de plus en plus fort, laissant la pression s'installer. Alors ce fut comme un élastique qui se détend. L'air se fit tout de suite plus léger, les yeux de la caissière moins embrumés. Ma sœur, elle, se contenta de sortir ma main de son épaule d'un geste rageur puis de tourner les talons en direction de la voiture.
- Je vous doit combien déjà ? demandai-je à la caissière, Patricia, qui était encore sous le choc.
Elle consulte rapidement la caisse électronique qu'elle a en face d'elle.
- 47€ et 50 centimes s'il vous plaît... Elle avait arrêté de mastiquer son chewing-gum et son accent avait perdu de sa vulgarité. Mal assurée, elle prit l'argent que je lui tendais et encaissa le tout.
- Bonne journée et à bientôt, lança-t-elle alors que je tournai les talons.
La climatisation du magasin derrière moi, l'étouffante chaleur me fit l'effet d'une immense claque. Je sentis un regard se poser sur moi. Pensant qu'il s'agissait de ma sœur, je jetai un rapide coup d'œil vers la voiture. Trop occupé à chercher dans les portières du véhicule elle ne me regardai pas le moins du monde... Je n'étais quand même pas devenu parano... Pourtant l'impression d'être épié était bien là...
Je me tournai alors vers l'entrée du magasin, les bras chargé des achats que nous venions d'effectuer ma sœur et moi... C'est alors que je la vis. Dans le coin du bâtiment, la fille que Élizabeth avait bousculé a l'entrée du magasin... Dans l'ombre de la supérette , cachée derrière son long manteau de cuir lui arrivant aux chevilles, elle me dévisageait... Un battement de cils plus tard, j'aurais pu croire avoir rêvé... Mais non, l'impression était trop présente... Faisant abstraction de cette apparition, je me dépêchais de rentrer dans la voiture, déposais les courses à l'arrière et me mis au volant. Une discussion avec Élizabeth s'imposait vivement...
- Tu sais, Élizabeth, ce que tu as fait dans le magasin tout à l'heure...
- Qu'ai-je fait dans le magasin tout à l'heure, Jaden ?
- Eh bien...
Elle me coupa la parole.
- Quoi que tu puisses en penser, Jaden Hook, ce que j'ai fait dans ce magasin est totalement légitime ! L'humain devrait nous obéir mais je t'arrête tout de suite ! C'est ma façon de penser et pas la tienne, je le sais bien ! Alors maintenant mon cher frère, bouge cette putain de caisse de ce foutu parking miteux et roule jusqu'à cette chère Brocéliande !! Papa et maman nous attendent et je sais qu'ils seront fous de me revoir... Surtout maman...
Sur ce, elle alluma la radio et se mit à chantonner les paroles d'une vielle chanson d'Annie Lennox.

Body of SeductionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant