CHAPITRE 10

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Nimra avait voulu retourner à sa chambre pour déprimer, mais un infirmier l'avait arrêté pour lui dire qu'elle avait un traitement à prendre maintenant, elle n'était pas sûre de vouloir être docile et d'accepter qu'on la drogue ainsi.

- C'est rien de bien méchant, soupira l'infirmier face à la posture braquée de l'adolescente. C'est juste du tercian pour calmer tes angoisses.

Elle le suivit l'œil méfiant, hésitant à s'enfuir en courant, elle avait une phobie des médicaments, sûre de s'étouffer avec et de mourir. C'est pour cela qu'elle avait arrêté son traitement à l'extérieur.                                                                                                                                                                                    La salle de soin était une simple pièce, l'armoire des médicaments était fermée par un code pour éviter que les patients s'y servent bien que la salle soit toujours fermée à double tours. Elle s'assit sur le siège de consultation le temps que l'infirmer sorte le pilulier en son nom, il lui tendit un petit cachet bleu. Elle le mit sous sa langue en espérant que sa ruse marche, elle avala un peu d'eau mais l'infirmier la regarda du coin de l'œil et lui demanda d'ouvrir la bouche, puis de lever la langue, il vit alors le médicament qu'elle avait essayé de cacher.   

-  Je vais pas te forcer à le prendre si tu ne veux pas, mais sache que le psychiatre risque de t'enlever certains privilèges, comme le poste de radio ou les permissions.

Le ventre de Nimra se serra, la seule chose qui la maintenait en vie, la musique, si on la lui enlevé elle serait seule avec sa maladie. Elle avala alors le minuscule cachet. 

 Il était bientôt vingt-et-une heure, le couvre feu était à vingt-trois heures, elle pouvait aller regarder la télévision avec les autres adolescents mais elle ne voulait pas être en contact avec eux, alors elle alla quémander une cigarette, les infirmiers la lui accordèrent. Elle sortit tranquillement alors, heureuse de pouvoir goûter la brise glaciale de la nuit. Elle leva la tête vers le ciel, la lune opaline éclairait le paysage le baignant d'une lueur fantomatique qui ressemblait à un pale écho de la clarté du jour. Ce soir là ce monde extérieur paraissait écrasé, évanescent, vide de sens. Elle s'arracha à la contemplation de la nuit, une ombre s'étendit devant elle, une montée d'adrénaline subite, elle se retourna vivement, c'était Sorhya. Elle poussa un long soupire ;

- Tu m'as fait si peur.

- Désolé, je t'ai vu de loin et je n'ai pas pu m'empêcher de venir te voir, tu ne veux pas regarder la télé avec nous ? 

- Non, les autres me font peur.

- Pourquoi, ils sont vraiment sympas, et on est tous pareils ici.

- Je sais pas, ils me veulent du mal, j'en suis sûre, marmonna-t-elle.

Elle ne voulait pas lui en dire trop non plus, par peur qu'elle l'utilise pour lui faire du tort plus tard, mais elle voulait se confier à quelqu'un, elle n'avait aucune confiance envers les infirmiers ici, ni aux autres patients, mais Sorhya paraissait plus empathique que les autres, et semblait vraiment lui souhaiter le meilleur.

- Moi aussi des fois j'ai peur des autres dans mes phases maniaques mais après je me rends compte que c'est faux, il faut que tu essaies, tu verras c'est pas si terrible.

- Non, je peux vraiment pas, c'est plus fort que moi.

Nimra était en permanence en alerte, un simple bruit lui faisait la peur de sa vie, ou même un seul contact social l'effrayait, elle était incapable de vivre une vie normale selon la société. Mais elle voulait être comme tout le monde, pas ceux d'ici, ceux qui sont dehors.

- C'est pas grave, prends ton temps, mais je suis sûre que tu iras mieux bientôt, lui dit gentiment Sorhya. Il y a d'autres patients dans ton genre ici, essaye de leur parler. Raphaël, Lilia et Lou, ils sont dans le même cas que toi, une psychose.

- Je croyais être seule à vivre ça, fit-elle étonnée.

- Vous avez pas les mêmes symptômes je pense mais vous êtes tous dans la case des troubles psychotiques.

- Les cases, je déteste ça.

- Moi j'en ai besoin pour savoir où aller, je t'avoue. J'ai besoin qu'on me mette dans la case bipolaire pour oser guérir, lui expliqua Sorhya.

Nimra avait toujours du mal à se penser malade, après tout chacun sa réalité. Mais au fond d'elle était juste triste et voulait revenir en arrière, quand tout allait bien, mais à la fois c'était sa phobie de revivre des moments déjà passés, de devoir tout refaire pour en arriver où elle en est. Elle était indécise sur pleins de choses et voulait être sûre d'elle et le faire paraître aux autres pour ne pas montrer à quel point elle était perdue.

Nimra alluma enfin sa cigarette, et Sorhya vînt s'asseoir à côté d'elle.

- Pourquoi tu fumes ? lui demanda-t-elle.

- Pour me détendre, il n'y a que ça qui me résonne.

- Et la musique ? La dernière fois j'entendais jusque dans le couloir ton poste de radio.

Nimra eut un peu honte d'un coup, elle ne voulait pas que tout le monde entende ce qu'elle écoutait. Elle ne voulait pas que les autres rentrent dans son intimité, elle avait peur de ça, être à nue, qu'on sache tout sur elle, ses pensées, ses peurs, ses loisirs.

- Je mettrai moins fort la prochaine fois, je croyais pas que les murs étaient si fins.

- Moi j'aimais bien ce que t'écoutais, c'était du rock ?

- Pas tout à fait, c'est du punk, ça vient du rock, expliqua Nimra. J'aime beaucoup ce mouvement.

- Ça se voit, je suis contente de le savoir, moi j'aime bien un peu tout.

Nimra était heureuse d'avoir une discussion normale sur quelque chose qu'elle adorait, comment Sorhya avait pu deviner. Lui parler l'avait calmé et son esprit était reposé, pas en alerte comme à chaque fois. Pas de voix, pas d'hallucinations, ni d'idées délirantes, un calme plaisant si rare.

- Tu veux que je te laisse ? demanda la blonde, devant son absence de réponse.

- Non, je profite du silence de mon esprit, toi aussi tu n'arrêtes pas de penser ? elle tira longuement sur sa cigarette, et recracha la fumée doucement.

- Quand je suis en phase maniaque, tout va si vite, mais j'ai l'impression d'être de plus en plus posée, ça me rend un peu triste.

- Tu aimes être malade ? comprit difficilement Nimra.

- Ça dépend quand, la phase maniaque est tellement bien si tu savais, mis à part les moments de psychose.

Nimra était stupéfaite qu'on lui dise ceci, elle n'y croyait pas, elle donnerait tout pour ne pas être comme elle est, si elle est bien malade comme le dise les médecins.

- Moi j'en peux plus, je veux être une personne meilleure mais j'y arrive pas.

- Selon moi, tu es une bonne personne Nimra, tu es vraiment sympa quand on te connait un peu plus.

A ces mots Nimra se crispa, elle ne voulait pas qu'on la connaisse un peu plus, enfin elle ne savait pas encore si elle voulait que Sorhya la connaisse, elle avait toujours peur. Et si elle la manipulait depuis le début à de mauvaises fins.

- Tu veux qu'on reparle de notre affaire ? lui demanda Sorhya.

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