Chapitre 10

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Stiles se targuait souvent d'avoir des yeux partout, en particulier auprès de Maïa. Il s'agissait pour lui d'un moyen de s'élever, de montrer qu'il n'était pas un humain lambda. Vivre dans le milieu des êtres de la nuit lui avait appris à se dépasser, à se montrer sous son meilleur jour pour ne pas laisser à d'autres le loisir de le penser faible. Stiles avait beau faire régulièrement face à ses propres complexes et à un manque de confiance en lui, il n'en restait pas moins têtu et considérait qu'il avait de la valeur malgré tout. Sa valeur à lui. Particulière, mais pas inexistante.

Alors Stiles, avec ses yeux humains, avait pris l'habitude, peut-être même le réflexe, de faire attention aux clients. A leurs silhouettes, leurs déplacements, leurs gestes. S'il savait son amie louve prête à le défendre si besoin, il se sentait obligé de faire attention malgré tout, de prévenir le danger.

Ainsi, il n'avait pu rater cette silhouette large, installée au bar depuis un moment déjà. En permanence dos à lui, elle lui faisait penser à quelqu'un, mais cette idée plus que stupide s'était rapidement évaporée. De toute façon, Stiles n'était pas là pour se laisser aller à des conjectures bêtes comme ses pieds. Il ne devait rien faire de plus que réaliser les différentes tâches qui lui incombaient et d'observer tout un chacun pour sa propre sécurité. Rien de plus.

Le temps passa, la fréquentation du bar s'amoindrit peu à peu. La salle se vida à une lenteur incroyable et seuls quelques clients ici et là restaient à discuter avec les serveurs, retardant à leur manière le moment du départ. Certains se servaient de ces moments volés pour se donner la force d'avancer dans une vie pas forcément facile tandis que d'autres aimaient simplement l'ambiance assez spéciale que le lieu dégageait. Et cette silhouette au bar ne faisait pas exception. Mais Stiles, fatigué, ne faisait plus vraiment attention à grand-chose tant il était fatigué. Son énergie, il la consacrait à ses réflexions, aux souvenirs de cet appel qu'il avait eu en début de soirée. Son détachement de la réalité se ressentait dans ses gestes aussi raides qu'imprécis. La façon dont il passait un coup sur les tables laissait à désirer, si bien que l'un de ses collègues le rappela sèchement à l'ordre. Stiles lui lança un regard noir et ne s'appliqua pas davantage. Il s'était donné toute la soirée, y compris pour faire semblant... Alors on n'avait rien à lui reprocher dans la mesure où il était toujours le plus souriant, le plus énergique, le plus accueillant.

- Stiles, l'appela Maïa, tu peux arrêter là. De toute façon, quelqu'un ici a à te parler.

L'humain tourna la tête en direction de son amie et vit qu'elle se trouvait face à la silhouette de cet homme qui n'avait pas bougé de sa place au bar. Stiles déposa mollement son chiffon sur le dossier d'une chaise en fronçant légèrement les sourcils. C'est ce moment précis que choisit le client pour se retourner lentement en faisant pivoter son tabouret.

Et Stiles, s'il reconnut cette fois instantanément le visage de l'homme qui lui faisait face, ne tilta pas tout de suite. Il voyait sans comprendre, sans faire le lien entre « la tête de Derek » et « Derek tout court ». Il réfléchissait beaucoup, peut-être trop pour laisser la place adéquate à cet évènement... Qui devrait d'ores et déjà le secouer. Or, il ne réalisait pas encore tant l'anarchie régnait dans son esprit des plus tourmentés.

- Tu le connais, on est d'accord ? Lui demanda toutefois Maïa, un air confus se peignant lentement sur son visage.

Parce que la réaction de Stiles... Ou plutôt son absence n'avait rien de normal. Il ne semblait ni surpris, ni heureux, ni mécontent, ni triste, ni en colère... Il était là, entendait, comprenait ce qu'on lui disait... Mais paraissait ailleurs.

Et pourtant, il hocha la tête. Et son regard commença enfin à changer, à exprimer quelque chose. A s'emplir d'une confusion certaine, laquelle prenait le pas sur tout autre sentiment, toute autre émotion. Sans dire un mot, Stiles fit un signe de tête à Derek, lui demandant sans un mot de le suivre. L'ancien alpha, tout aussi perplexe que Maïa, s'exécuta tout de suite. A vrai dire, il s'attendait à tout, sauf à une réaction aussi... Calme de la part de ce collègue de meute qu'il n'avait connu que bruyant et si énergique que c'en était fatiguant. Aussi lorsque Stiles s'arrêta dehors, à quelques pas de l'entrée du bar, Derek ne sut pas vraiment quoi dire, ni comment débuter la conversation. Il n'était pas homme à avoir la discussion facile, cependant... Il n'avait généralement aucun mal à exposer les raisons de sa présence, lorsque c'était nécessaire. Mais ce soir-là, face à Stiles, il se retrouva sans mot, sans inspiration, sans... Aucune aisance. Pourtant, il le connaissait, savait comment agir avec lui. Des missions, ils en avaient exécuté des tas ensemble. Des réunions à se lancer des piques, ils en avaient eu. Des conversations normales, aussi.

Alors pourquoi cette fois-ci, Derek se retrouvait-il complètement perdu ? Cela faisait des jours qu'il cherchait Stiles et qu'il devait entrer en contact avec lui... Et il l'avait là, sous ses yeux. Son odeur générale n'avait pas changé pour un sou – c'était également à cela que Derek pouvait certifier que l'homme face à lui était bien Stiles Stilinski.

Les seules différences se situaient au niveau de ses émotions. La surprise et la confusion menaient la barque mais Stiles les contrôlait étonnamment bien – seul son regard le trahissait, pas le reste de son visage, qui se contentait d'être fermé.

- Tu voulais me parler ? Finit par demander l'hyperactif, après avoir attendu de longues secondes que Derek fasse débuter la conversation.

L'ancien alpha tomba des nues et ne réussit pas à le lui cacher.

- C'est vraiment la seule question que tu te poses ? Lâcha-t-il malgré lui.

- Oui, je ne vois pas pourquoi je devrais me demander autre chose, rétorqua Stiles en haussant les épaules.

Malgré son début de réaction et d'émotions, le voilà qui semblait déjà se détacher de la situation.

- Je ne sais pas... Tu n'es pas surpris de me voir ? Tu ne me demandes pas comment j'ai réussi à te retrouver ?

Pas que Derek aimerait voir un semblant de joie ou d'étonnement poindre sur le visage normalement très expressif de son vis-à-vis, mais... Quelque chose de concret, au moins. Quelque chose qui lui rappellerait cette personnalité qu'il avait longuement côtoyée. Là, Stiles ne semblait pas réellement faire cas de sa venue en tant que telle. Pour une raison qu'il ignorait, Derek n'appréciait pas beaucoup cela. Après tant de temps sans se voir, tant de temps à ne communiquer avec la meute que rarement et au travers de quelques pauvres messages...

- J'ai mes priorités, assena Stiles sans détour.

Et elles lui pompaient son énergie au sens littéral du terme tout en protégeant sa psyché de quelque complication supplémentaire. La situation dans laquelle il se trouvait était délicate, peut-être plus que jamais. Fatigué comme il l'était et usé par son train de vie actuel, Stiles ne pouvait pas réagir comme il l'aurait fait en temps normal.

Outre le fait que son père était toujours à l'hôpital, ses nuits les plus récentes avaient des allures de blagues, son désormais ex colocataire le prenait pour un objet, il avait très probablement perdu son appartement... Et devrait, d'ici quelques minutes, aller y chercher ses affaires. Se rendait-il compte de ce que ce fait risquait d'engendrer ? Avait-il en tête toutes les conséquences possibles à cet acte qui n'accepterait sans doute aucun retour en arrière ? Pas vraiment. Stiles, épuisé, ne réaliserait vraiment que lorsqu'il se retrouverait devant le fait accompli.

Autant dire que la venue de Derek, il aurait le temps de s'en étonner réellement plus tard, lorsqu'il aurait du temps à perdre.

In your armsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant