Chapitre 1 (partie 1)

37 7 0
                                    

Il est deux heures moins le quart quand le moteur de Titine, ma vieille citadine, décide de me lâcher. Une fumée noire a commencé à sortir du capot deux kilomètres en amont, mais, en bonne tête de pioche que je suis, j'ai choisi de l'ignorer, persuadée que mon fidèle bolide réussirait à tenir le peu de distance restant pour me mener à bon port.

Je rêve de regagner mes pénates depuis que j'ai quitté cette réunion de famille soporifique à laquelle je me vois obligée d'assister chaque année au mois de mars. Il serait tout bonnement inconcevable que l'unique héritière de la famille Deflandre ne s'y présente pas... Sentez bien l'ironie ici.

C'est qu'on a une réputation à tenir, nous, les Deflandre, pour préserver la bonne image que nos ancêtres français se sont donné tant de mal à forger dès qu'ils ont débarqué dans le nouveau monde...

Laissez-moi rire. Ces derniers seraient probablement horrifiés de voir à quel point le vernis s'est écaillé en l'espace de quelques siècles. La prestance d'antan a laissé sa place à la déchéance depuis que mon arrière-arrière-grand-père s'est un peu trop perdu dans les paris et autres jeux d'argent, entamant ainsi la longue décente aux enfers de notre famille défaillante.

Si j'accepte encore de participer à cette mascarade aujourd'hui c'est uniquement pour faire plaisir à tata Raymonde. Elle qui n'a pas hésité à abandonner sa vie tranquille dans l'hexagone pour venir s'occuper de moi le jour où mes parents ont jugé bon de laisser leur enfant de huit ans derrière eux avant de partir en cavale après un énième braquage raté. C'était il y a vingt ans. Je ne les ai jamais revus.

Ce qui nous ramène à cet instant fatidique, où Titine a décidé de clore un nouveau chapitre de ma vie pourrie en rendant l'âme sur une route déserte, au beau milieu de la nuit... Au moins, la pleine lune est là pour guider mes pas.

Dans ma précipitation à fuir cette réunion de famille insupportable, je n'ai pas pensé à vérifier que mon téléphone était chargé avant de prendre la route.

En fait, si je dois être totalement honnête, c'est en voyant que j'avais finalement réussi à vider sa batterie à force de passer mon temps sur Candychrush que m'est venue l'idée hasardeuse de précipiter mon départ.

Tata Raymonde a beau être mignonne, il y a des limites à ce que je suis capable d'endurer sans un minimum de diversion à portée de main.

Relativisons. Ça aurait pu être pire. Mon fidèle bolide m'a offert un dernier cadeau en arrêtant sa course folle devant un panneau annonçant l'entrée d'un bar à la prochaine intersection, 200 mètres plus loin. Avec un peu de chance, il est toujours ouvert.

Entre me taper trois kilomètres à pieds jusqu'à l'entrée de la ville et quelques centaines de mètres vers un lieu de débauche inconnu, mon choix est vite fait.

Qu'est-ce qui pourrait m'arriver de pire ? Croiser un détraqué ?

Mon spray au poivre est bien au chaud dans mon sac, prêt à fonctionner. Au moindre bruit de pas suspect, je le dégaine et j'arrose mes assaillants potentiels !

Cette perspective me permet de rejoindre ledit bar l'esprit serein.

Le bâtiment ne paie pas de mine mais, bonne nouvelle, il a l'air ouvert à en croire les lumières clignotantes qui entourent l'enseigne.

Quelques bécanes sont garées devant, lui donnant une allure de repaire de bikers. De loin seulement, parce que je me serais davantage attendue à voir placardé un nom du style « Blousons noirs » que « Nectar cerise » à ce compte-là.

Je passe les portes en me mettant dans la peau d'une dure à cuire prête à en découdre, image qui se trouve assurément démolie par le joli pull en laine mauve que je porte par-dessus une paire de jean délavé. Mon visage poupon entouré de belles boucles châtain et mes yeux de biche assortis n'arrangent rien au tableau.

Fièvre Mordante (romance paranormale - Éditée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant