Chapitre 10 : Les voix de Sainte Terreur sont impénétrables

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Avec la dextérité d'une barre d'acier, je sors de mon lit pour me traîner jusqu'à la porte. J'ai besoin de me dégourdir les jambes. De prouver à ma louve, toujours sur les nerfs, qu'il n'y a pas de danger immédiat. Habillée d'un gilet noir par-dessus ma combinaison grise, je m'engouffre dans le couloir.

— Tu vas où ? me demande Cristal.

Elle se tient appuyée contre l'encadrement de sa porte. Je ne l'ai même pas entendue l'ouvrir. Sa chambre pue le vernis, le maquillage, l'herbe et Anoki. Mais un autre parfum titille mes sens, plus subtil, plus piquant : celui de la douleur.

— Nulle part en particulier. Il faut que je prenne un peu l'air.

— Avec ce qu'on t'a forcée à faire ce soir, je pensais que tu serais claquée. Tu as réussi à te débarrasser de l'odeur de merde ?

— Ouais. À part les cloques sur les mains et la puanteur dans le nez, je m'en sors plutôt bien. Il est quelle heure ?

Elle examine sa montre. J'envie Cristal et sa capacité à se procurer plein de choses utiles.

— Trois heures vingt.

— Et pourquoi tu ne dors pas ? la questionné-je.

Elle hausse les épaules en s'allumant une cigarette. Sous la lueur de la flamme du briquet, je remarque les brûlures sur ses tempes. Cristal lève ses yeux rougis par les larmes sur moi, avant que l'obscurité la dissimule à nouveau.

— Je souffre d'insomnie, du coup je roupille très peu, me répond-elle.

— Que t'est-il arrivé ?

Elle glousse, mais les trémolos dans sa voix ne m'échappent pas quand elle m'explique :

— Séance quotidienne d'électrochoc. Je t'en ai parlé lors de ton arrivée, tu te souviens ? Arche croit qu'en m'administrant ce traitement, j'irais mieux. Il paraît que c'est la tendance hiver de Sainte Terreur pour ceux qui ont tué un membre de leur meute.

Ma poitrine se sert rien qu'en imaginant ce qu'elle a subi

— Merde. Comment tu te sens ?

— J'ai l'habitude, ne t'inquiète pas pour moi. Je t'ai entendu crier, il y a quelques minutes. Qu'est-ce qui s'est passé ?

Je secoue la tête, et si j'ai envie de clore cette discussion le plus rapidement possible, je réponds tout de même :

— On a vraiment passé une journée pourrie, pas étonnant qu'on ait du mal à dormir.

— Tu m'étonnes, réplique-t-elle avec un rire bref. Bon, je retourne me coucher. Fais attention à ne pas te faire attraper par un garde. Ceux du dernier quart de nuit sont particulièrement coriaces.

— Merci du tuyau.

Elle prend une dernière taffe sur sa cigarette, l'écrase sous sa chaussure, puis s'enferme dans sa chambre. Une fois seule, je parcours le corridor obscur pour calmer ma louve à bout de nerfs. Chaque pas me réclame un effort surhumain.

Quelques minutes plus tard, un parfum masculin chatouille mon maigre odorat. La voix d'un garde s'élève dans mon dos, aussi doucereuse qu'une lame de rasoir :

— Eh toi ! Qu'est-ce que tu fiches là ?

Je me tourne vers lui. Plutôt grand et bien bâti, il tient une lampe dans la main.

— Rien du tout.

— Tu te rends à cette fête, c'est ça ?

— Je ne sais pas de quoi vous parlez.

— Quand est-ce que vous comprendrez votre erreur ? Tu veux crever ou quoi ?

Je hausse un sourcil, surprise par ses paroles, mais aussi par le ton désespéré qu'il emploie.

La malédiction du dieu-loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant