Si l'envie d'égorger Arche obsède ma louve, je reste tranquille. Cette espèce de tarée vient de me prouver que je n'avais aucun pouvoir en ces lieux, et Dieu sait jusqu'où il pourrait pousser le vice. Ce qui me rassure un peu, c'est que me torturer l'a épuisé : son visage crayeux brille de sueur sous la lueur des néons. En repositionnant son col, il s'installe sur sa chaise en affichant son air victorieux. Bien que je demeure impassible, ma bête s'emploie à laminer mes défenses mentales à coup de griffes pour me forcer à attaquer. La contenir me demande un effort aussi considérable que celui de ne plus pleurer.
— Il y a des règles à respecter à Sainte Terreur, mademoiselle Crimson. La première est de s'écraser quand je l'ordonne, point final. Par deux fois déjà, vous m'avez défié. La troisième vous vaudra vingt-quatre heures dans les cachots et cinq coups de fouet.
— Mon père ne vous autorisera jamais à me faire subir de tels traitements !
— Vous parlez bien de l'homme qui vous a expédié entre ces murs, jeune fille ? Celui qui sait que vous avez une chance sur dix de rentrer chez vous ?
Je me cramponne aux accoudoirs de la chaise, la poitrine en lambeau. Je regrette de ne pas être capable de gagner face à mon paternel ou à un type comme Arche. Ils semblent avoir été creusés tous les deux dans le même bois.
— La seconde règle ? me contenté-je de demander, le souffle court.
— Pas de transformations. Toute perte de contrôle mènera à une sanction de l'Exécuteur. J'ai cru comprendre que vous avez assisté à ce qui arrive quand un loup-garou se métamorphose.
La subtilité, c'est que ce Randal avait l'air un peu fou. Il n'avait rien d'un congénère classique.
— De plus, ajoute le dirlo, aucune dégradation ne sera tolérée. Pas de tentative de fuite non plus, pas de combats, pas de regroupements en dehors de ceux autorisés lors des séances communes. Des tâches ménagères vous seront confiées chaque jour, et devront être honorées en temps et en heure. Auquel cas, vous les continuerez une fois la nuit tombée. Avez-vous bien compris ?
Tendue à l'extrême, j'opine sagement.
— Où est-ce que je dors ?
— Quelqu'un va vous conduire à votre chambre. Vous pouvez disposer.
Le dirlo attrape une cloche qu'il fait tinter. Un type patibulaire débarque, habillé d'un costume gris terne.
— George me relatera chacun de vos gestes. Disparaissez, maintenant.
Un parfait petit chien-chien à son maître, le George.
— Les gardiens sont autorisés à user de la force et à vous électriser au moindre faux pas, m'annonce Arche en guise de bonne nuit.
Sans un regard pour lui, je quitte le bureau, la tête haute. George n'ouvre pas la bouche de tout le trajet, penché en avant, la démarche rapide et la respiration sifflante. Quand on arrive au dernier étage, il rompt le silence.
— Les douches se prennent de six heures trente à sept heures trente, les petits déjeuners sont servis à huit heures, les déjeuners à midi pile. Manquez un seul de ces horaires et vous resterez l'estomac vide. Votre chambre est la dernière porte sur la gauche, au bout du couloir. Le dîner est à dix-neuf heures. Dommage. Vous avez loupé celui d'aujourd'hui.
Et il a l'air très satisfait de ce détail. Je le dépasse, bien consciente du regard torve qu'il pose sur moi.
— J'attends une réponse !
— Chef, compris, chef !
C'est plus fort que moi. Utiliser le sarcasme me permet parfois de dissimuler mes émotions comme la peur ou la rage.
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La malédiction du dieu-loup
Loup-garouSainte Terreur. Tous les loups-garous connaissent le nom de ce centre de redressement perdu au milieu de la forêt. On y envoie les malades, les faibles, les rebelles... ceux qu'on souhaite réduire au silence ou seulement oublier. Alix, fille d'Alph...