Le fourgon évolue à grande peine sur un chemin accidenté, rendant le voyage aussi agréable qu'un séjour dans un mixeur. Mes fesses rebondissent sur le banc en acier et mon crâne cogne contre la paroi métallique. Ma louve déteste ce traitement autant que moi. Elle rôde à la frontière de ma conscience, perdue et en colère. Elle ne pige pas pourquoi mes parents m'envoient à Sainte Terreur. Elle ne comprend pas que je préfère mille fois affronter ce centre de réhabilitation de malheur, que d'accepter un mariage arrangé.
Un nid de poule me tire un grondement agacé. Je dresse mon majeur à l'intention du conducteur, installé derrière une vitre blindée. Il a de la chance que je ne puisse pas le secouer, celui-là.
— Tu crois que Sainte Terreur est comme on le décrit ?
Je tourne la tête vers le type enchaîné au fond du fourgon. Des menottes en argent cinglent ses poignets, et un anneau autour de son cou relié à la paroi le maintient immobile. C'est le sort qu'on réserve aux loups-garous qui ne savent pas se contrôler. Pauvre gosse. À vue de nez, il doit avoir quinze ou seize ans. Son accent prononcé rend sa question un peu moins dramatique qu'elle l'est réellement.
— Je suis certaine que non, réponds-je avec un sourire rassurant.
Il grimace, tente de lever la main pour dégager ses cheveux bruns de son visage, et renonce quand les chaînes trop courtes le bloquent.
— Je crois que si, moi. Il suffit de voir comment on nous traite, alors qu'on n'est même pas arrivé au centre. J'étais à peine monté dans l'avion, à Londres, qu'on m'a collé ces chaînes. Ça donne une idée précise de ce qui nous attend.
Un point pour lui.
— C'est triste que tu doives découvrir la France dans ces circonstances, grommelé-je. Désolée pour toi.
— Ouais, je m'en serais bien passé. Pourquoi t'a-t-on envoyé dans ce trou paumé ?
Sainte Terreur se trouve au milieu d'une forêt privée dans l'ouest de la France. Très peu d'informations circulent sur cet endroit, en dehors de quelques rumeurs terrifiantes.
— Je suis ici parce que j'ai refusé les termes d'un mariage arrangé. Mes parents pensent que je changerais d'avis dans quelques mois.
Ça, c'est la version officielle que je dois répandre pour avoir la paix. En vérité, mon père souhaite que je trouve un artefact qui aurait servi à invoquer une divinité lycanthrope il y a des centaines d'années. Si je le déniche, on ne me passera pas la bague au doigt sans mon accord.
— Ça craint, soupire mon interlocuteur. Mes vieux ne sont pas aussi conservateurs. Dans notre meute, il n'y a plus d'union de convenance.
— Mais tu es quand même là.
— J'ai dit qu'ils n'étaient pas conservateurs, je n'ai pas prétendu qu'ils étaient cool. Ils n'ont plus envie de se coltiner un fils qui perd le contrôle sur son loup. Quand ils ont eu l'appel du dirlo, c'était une aubaine pour eux. Je ne sais même pas comment il a réussi à avoir mon nom...
Chaque loup-garou possède une fiche d'identité centralisée dans un serveur régulièrement mis à jour par les chefs de meutes. Quand un membre commence à présenter des déviances, leur Alpha doit le signaler. Ce serveur n'est pas en libre accès, mais il arrive que des gens haut placés puissent s'y connecter. D'après mon père, le directeur Arche fait partie de ces personnes. C'est ainsi qu'il trouve ses « victimes ».
— Je l'ignore, moi aussi.
L'adolescent ne repère pas mon mensonge. Il s'assombrit et se mure de nouveau dans le silence.
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La malédiction du dieu-loup
Hombres LoboSainte Terreur. Tous les loups-garous connaissent le nom de ce centre de redressement perdu au milieu de la forêt. On y envoie les malades, les faibles, les rebelles... ceux qu'on souhaite réduire au silence ou seulement oublier. Alix, fille d'Alph...