La neige cesse de tomber, le temps pourtant ne reprend pas ses droits sur moi. J'ignore si une minute ou une heure viennent de s'écouler. Anoki attend, faisant preuve d'une patience étonnante. Pour un dieu-loup prisonnier d'un territoire, aussi vaste soit-il, ce n'est pas surprenant, j'imagine.
« Pas prisonnier, me corrige ma louve en m'envoyant un coup de museau immatériel dans l'âme. Sacrifice. »
Elle a raison. Il abandonne sa propre liberté pour empêcher un psychopathe de répandre le mal sur la planète. Je lui en veux de m'inclure dans sa foutue équation, mais d'une certaine façon, je me dis qu'à sa place, je n'agirais pas autrement. Pour sauver ceux que j'aime, moi aussi j'encaisserais des années et des années d'enfermement.
Mais alors que je médite sur cette pensée, une réalisation amère s'installe. Ceux que j'aime ne feraient probablement pas la même chose pour moi. Je me redresse, frigorifiée et nauséeuse.
— C'est un truc de fou, finis-je par commenter, à court de mots.
— Je veux bien te croire.
— Et maintenant ?
— Si tu es toujours disposée à m'aider, j'ai besoin de toi pour couper le lien entre Sakari et Arche.
Si sa demande me surprend, je ne la refuse pas tout de suite. D'ailleurs, je ne sais pas trop comment la considérer, c'est la première fois qu'il ose me réclamer un coup de main. C'est aussi la première fois qu'il fait preuve d'une totale franchise avec moi.
— Tu es sérieux ?
— Tu connais la vérité, à présent. Autant que je tourne ça à mon avantage. Alors que dirais-tu d'avoir une chance de tuer Arche ?
Même si j'aimerais buter ce sale type sur le champ, je me force à contenir ma fureur et à réfléchir.
— Sakari sait qu'il a lié sa vie à la sienne ?
— Non. Et je compte sur toi pour ne pas le lui révéler. Elle n'hésiterait pas à se suicider pour éliminer notre ennemi.
— Ce serait une mauvaise chose, en définitive ?
Je regrette mes mots terribles à l'instant où je les prononce. Anoki recule, comme si je lui avais envoyé mon poing dans la figure.
— Je veux dire... si j'étais Sakari, moi aussi je me sacrifierais.
— Tu as un frère, pas vrai ? réplique-t-il d'une voix blanche. Les sentiments que tu éprouves pour lui sont à l'égale de ceux que je ressens pour ma familière. Alors non, ce n'est pas envisageable que je la laisse mourir. J'imaginais autre chose en te demandant de l'aide.
Ses traits se durcissent, mais une ombre de vulnérabilité traverse son regard. Je m'apprête à m'excuser, puis je me rappelle que je me trouve dans ce merdier à cause de lui. Me sentir en position de force après avoir subi autant d'humiliation me fait vriller. Raison pour laquelle je le défie ouvertement :
— Qu'est-ce qui te dit que je ne lui parlerais pas de ce que le dirlo lui a fait ?
Il lève un sourcil, surpris, et peut-être un peu en colère, aussi.
— Rien, si ce n'est que j'ai bon espoir que tu réfléchiras avant d'agir. Tu m'en veux et tu as le droit. Mais tu serais prête à sacrifier Sakari pour te soulager ?
Je hausse les épaules, les lèvres pincées.
— Elle ne m'apprécie pas beaucoup.
— Pourtant, elle t'a offert une Fleur de Vie pour que tu te remettes de tes blessures. Sais-tu combien elle peut en générer dans son existence entière ? Trois. Et la seconde, elle l'a créé pour une humaine qu'elle n'aime pas beaucoup.
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La malédiction du dieu-loup
LobisomemSainte Terreur. Tous les loups-garous connaissent le nom de ce centre de redressement perdu au milieu de la forêt. On y envoie les malades, les faibles, les rebelles... ceux qu'on souhaite réduire au silence ou seulement oublier. Alix, fille d'Alph...