Chapitre 8

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Leslie

Les trois heures de décalage horaire après les cinq heures trente de vol pour rallier Boston m'ont épuisée. Monsieur Vassiliev n'a pas décroché plus de trois mots durant le voyage. Il a refusé tout ce que l'hôtesse s'est évertuée à lui proposer d'un laconique « non, merci ». Pourtant, Dieu sait si elle a mis du cœur à tenter de satisfaire ses moindres désirs. Il n'en avait aucun. Sa froideur, à la limite de l'impolitesse, a créé un malaise qui a perduré durant le transfert privé de l'aéroport international Logan à notre hôtel. Vais-je réellement passer ces quelques jours avec ce bloc de glace indéchiffrable ?

Le Boston Harbor hôtel se situe à quatre kilomètres de l'aéroport, à proximité de la marina de Rowes Warf. En chemin, je songe à Alyssa qui a nié avoir eu connaissance des projets de son compagnon, mais y a trouvé l'opportunité « gé-nia-lis-si-me » de me tirer de mon sombre quotidien. Nos embrassades dans le hall de l'aéroport sous l'œil plutôt morose de monsieur Vassiliev m'arrachent un bref sourire.

J'ai surpris quelques échanges de regards entre Alyssa et lui. L'impression qu'ils se connaissent ne m'a pas encore quittée. Les traits de mon bodyguard perdaient de leur raideur dès qu'il se tournait vers elle. Un moment en particulier m'a frappée lorsque mon neveu s'est adressé à lui avec un jovial « bonjour, monsieur Vassiliev » comme s'ils étaient de vieux amis. Je n'ai pas eu le temps de poser la question, Alyssa a détourné son attention et mon garde du corps s'est écarté, à portée de vue cependant, pour nous laisser notre intimité familiale.

Le taxi s'arrête devant l'hôtel. Mon garde du corps est le premier à descendre. Il se tient à mes côtés lorsque je pose le pied sur le trottoir. Je ne m'occupe d'aucune formalité, il le fait pour moi. Un employé lui remet la clé de notre suite et nous empruntons l'ascenseur privé qui monte au troisième étage. J'ai réservé tant de fois cette suite pour monsieur Volkov, mais si j'en ai vu des photos, je n'ai jamais eu l'occasion d'y séjourner. La réalité supplante largement l'idée que je m'en faisais. Le luxe de la suite présidentielle me laisse sans voix : immense, dans des tons bleus, blancs et gris perle, lumineuse avec ses fenêtres du sol au plafond occupant toute une façade de la pièce de réception.

Je reste plantée au milieu de la grande salle, tandis que le service de chambres dépose nos bagages dans l'entrée. Monsieur Vassiliev s'empare de sa valise et disparaît sans un mot pour ne pas déroger à ses habitudes. Il semble connaître les lieux mieux que moi. Je me saisis de ma propre valise et lui emboîte le pas. Il a posé son bagage dans la suite privée, celle qui possède un coin salon et une vaste terrasse avec vue sur la marina de Rowes Warf. Il fait les cent pas à l'extérieur, le long de la rambarde surplombant le port. Il n'est tout de même pas en train de vérifier si un éventuel agresseur pourrait escalader la façade et venir m'enlever en pleine nuit ?

Il n'a pas cessé de regarder autour de lui depuis que je l'ai rejoint à l'aéroport de Portland. J'ai trouvé son comportement très étrange, comme la décision de mon patron de me placer sous protection. Malgré les épreuves que j'ai subies, je ne parviens pas à me sentir en danger à 2500 miles de chez moi. Au contraire, pour la première fois depuis deux semaines, je me sens en parfaite sécurité. Je doute que le dénommé Alik vienne me chercher si loin de chez moi.

— Je vais prendre cette chambre, m'informe-t-il arbitrairement en refermant la porte-fenêtre. Il y a une suite parentale avec une salle de bains attenante de l'autre côté de la salle de réception. Vous y serez à votre aise et en toute intimité.

Trois phrases d'un coup ! Cet immense effort me laisse une sensation de grand chahut après le silence dont il m'a gratifiée depuis notre première rencontre.

— Quelqu'un vous a-t-il parlé de la galanterie, monsieur Vassiliev ? Votre mère ? Un quelconque éducateur ? Votre père, peut-être ? Non ? Cette forme de politesse voudrait que vous me laissiez choisir ma chambre. Je veux celle-ci, elle est la seule à posséder un accès extérieur.

— Justement, répond-il avec aplomb. La sécurité supplante la politesse, vous m'en voyez désolé. Je ne vous laisserai pas sans surveillance à proximité d'une ouverture sur l'extérieur. C'est trop aléatoire.

Les bras m'en tombent. Il imagine vraiment ce genre de scénario dans un hôtel cinq étoiles ? N'est-ce pas pécher par excès de prudence ? Ne devrais-je pas être celle qui a peur ? Or, je trouve toutes ces précautions parfaitement ridicules.

— Vous allez devoir baisser votre garde en intérieur. Que ce soit ici ou dans les locaux de News Technologies, je ne risque rien. Je ne supporterai pas votre vigilance permanente à mes côtés. Vous me stressez plus que vous ne me rassurez.

— J'en prends note, m'assure-t-il en ôtant son blouson.

Il le pose avec soin sur le dossier d'un fauteuil. Mon regard suit le mouvement sur le cuir noir, me laissant une étrange sensation de déjà-vu. Puis il entreprend d'enlever ses chaussures. La perplexité me traverse quand ses deux mains se referment sur le bas de son tee-shirt à col roulé. Il l'enlève d'un mouvement fluide. Il ne porte rien en dessous.

— Que faites-vous ?! m'étranglé-je, partagée entre confusion et admiration.

Il est face à moi, les muscles de son corps massif ondulant à chaque mouvement. Jamais mes nombreuses conquêtes ne m'ont donné à voir un tel spectacle. Le plus subjuguant étant les tatouages qui recouvrent presque entièrement sa peau.

— Je vais prendre une douche le temps que vous vous installiez, m'informe-t-il d'un ton serein. La journée a été longue entre le voyage et le décalage horaire, vous devriez en faire autant. Le frigo doit contenir de quoi vous composer un repas, mais je ne voudrais pas vous paraître trop directif.

Il se fiche de moi ! Je reste plantée, les yeux fixés sur le jeu de ses muscles et ses multiples tatouages. Un corbeau étend ses ailes sur le biceps de son bras gauche. Un crâne traversé d'une dague orne l'un de ses pectoraux, l'autre arbore une rose noire. Le reste de son torse légèrement hâlé est recouvert d'encre noire : une vierge tenant un enfant dans ses bras, des étoiles à huit branches, des symboles indéchiffrables, un poignard...

— Arrêtez ça immédiatement ! l'intimé-je.

Je ne parviens pas à bouger tant je suis fascinée par le spectacle. Il tend une main vers la porte avec un mouvement de tête et une mimique d'encouragement. Je découvre le tatouage sur le dos de sa main droite que je n'avais pas remarqué jusque-là. À croire qu'il s'est ingénié à me le cacher. C'est le même que celui de monsieur Volkov. Le corps du serpent s'enroule sur son avant-bras jusqu'au pli du coude. Ses doigts débouclent sa ceinture et descendent la fermeture de son pantalon de ville noir. Il ne va pas oser ?! Je dois partir. Je reste, subjuguée par les cicatrices qui traversent son bas-ventre. Que lui est-il arrivé pour laisser de telles marques ?

— Je dégage toute responsabilité si vous ne détournez pas les yeux, m'avertit-il d'un ton égal.

Je l'entends comme dans un brouillard, ancrée dans le sol, plusieurs kilos à chaque pied. D'ailleurs, je ne sens plus mes membres. Il est impossible qu'une telle chose ait lieu, que je la laisse faire et, Dieu me pardonne, que je la contemple avec un tel hypnotisme, carrément ensorcelée par l'attrait de la scène. Cet homme est d'une beauté surnaturelle, l'aisance de son strip-tease devant une personne étrangère me cloue sur place.

Il baisse son pantalon et l'enlève sans se presser. La taille de ses cuisses elles-mêmes est impressionnante. Cet homme est bâti dans le roc. Il ne me regarde pas, absorbé en apparence par sa tâche. Son boxer suit sans la moindre hésitation. Je retrouve un minimum de mobilité pour cacher aussitôt mes yeux avec mes mains.

Oh non ! Je n'ai pas fait ça !

Le ridicule de la situation m'échauffe le visage en une seule flambée. Je suis définitivement grillée auprès de ce sans gêne qui s'attribue la meilleure partie de notre suite et s'y met nu comme s'il était seul.

Je l'entends se déplacer. J'écarte légèrement mes doigts pour entrevoir le côté pile alors qu'il se dirige vers la salle de bains. Je suis renseignée en un quart de seconde, ses fesses musclées n'ont rien à envier au reste de son corps.

La porte est ouverte, le miroir est face à moi. La glace capture mes yeux en pleine séance de voyeurisme. Nikolaï Vassiliev accroche mon regard l'espace de quelques secondes.

Il signe la fin de la représentation en refermant la porte d'un revers de talon.


Le Survivant - la bratva Volkov - tome 2 [terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant