𝐂𝐡𝐚𝐩𝐢𝐭𝐫𝐞 𝟐 | Déjà plus ou moins morte

584 71 33
                                    

( Déclenchez la vidéo pour plonger dans l'univers )





𝚂𝚞𝚗𝚜𝚎𝚝-𝚂𝚞𝚗𝚜𝚒𝚍𝚎,
𝟽𝟻𝚎 𝚊𝚛𝚛𝚘𝚗𝚍𝚒𝚜𝚜𝚎𝚖𝚎𝚗𝚝 𝚍𝚎 𝙿𝚊𝚛𝚒𝚜,
𝙻𝚎𝚗𝚍𝚎𝚖𝚊𝚒𝚗, 𝟸𝟹𝚑𝟹𝟶.






Emory Kim.

Je saisis brusquement ma robe rouge, qui pendait soigneusement sur un cintre dans la loge. Je l'enfile rapidement, puis me confronte à mon reflet sans vie dans le miroir. Mon corps me répugne. La robe s'accroche grossièrement à moi, accentuant chaque courbe de mon anatomie. Je me sens indigne de cet endroit, et il suffirait d'un simple regard du public pendant plus de cinq secondes pour qu'ils remarquent à quel point je suis repoussante.

Mes cheveux sont gras et négligés, comment pourrais-je rester ici dans cet état ?

Avec rage, j'attrape mes cheveux et tente désespérément de dissimuler toute la saleté qui les enrobe. Je jette un dernier coup d'œil à ma tenue avant de prendre délicatement mon saxophone, posé de manière banale dans la pièce. Le manager me fait signe que c'est à mon tour.

Je me dirige vers les escaliers en forçant un sourire, le plus beau que je puisse leur offrir. Mais c'est un sourire faux, qui trahit sûrement toute la détresse que je ressens. Pourtant, je m'efforce de paraître joyeuse pour ne pas perdre mon unique source de revenus.

Avant d'atteindre enfin la scène, j'entends la porte de la loge claquer, ce qui fait palpiter mon cœur dans ma poitrine pendant un bref instant. Je me retourne pour identifier l'origine de ce bruit.

- Mr. Moreau? Je demande, déconcertée.

Il apparaît soudainement devant moi. Son corps bedonnant, sa petite taille et sa calvitie naissante me font grimacer de dégoût.

- Emory... Emory... Emory...déclare-t-il avec une certaine sournoiserie.

Mr. Moreau est à la fois le gérant du café et celui envers qui je suis endettée jusqu'au cou.

- Où est mon argent? Ajoute-t-il imperturbablement.

Il ressemble à un loup infiltré dans la bergerie, et je suis l'agneau destiné à être bientôt dévoré. Je lui dois une somme colossale, mais je n'ai aucun moyen de la lui rendre. Et avec tous les contacts qu'il a, il ne rencontrera aucun obstacle pour me faire disparaître de ce monde misérable si je ne le lui restitue pas.

- C'est bientôt mon tour, nous pourrons en reparler plus tard, ajouté-je timidement.

Bien déterminé à récupérer son dû, il avance vers moi à grands pas de géant, étouffant tout espoir de trouver une issue à cette situation.

Sans prévenir, cet homme odieux attrape violemment mon poignet, me forçant à descendre les marches avec une hostilité palpable, m'arrachant un gémissement de douleur.

Mon sang se met à bouillir et mon cœur bat irrégulièrement. Malgré la rage qui s'empare de moi, je suis paralysée, écrasée sous le poids de ma propre culpabilité. Personne d'autre que moi-même ne mérite ce fardeau.

Dans la hâte, mon précieux instrument tombe au sol avec violence, écrasé pitoyablement. Ce monstre a anéanti la seule relique qui me reste de mon père. Il l'a détruite sans un seul remord. Mais de toute manière, il m'a détruite depuis le premier jour où nos chemins se sont croisés.

Je retire brusquement mon bras de son emprise, constatant avec horreur que mon poignet est désormais meurtri et violacé. Il me fixe avec un mélange de stupéfaction et de mépris.

Mes larmes menacent de jaillir, mais je les retiens avec effort. Je suis épuisée, vidée de toute force, ne me raccrochant plus qu'au souvenir de mon passé. La vie est injuste mais ce monde l'est tout autant.

Je saisis mon instrument brisé avec ferveur, le serrant contre moi.

- J'arrête tout, déclaré-je d'une voix tremblante.

Un instant, M. Moreau semble perplexe, puis il réalise que je suis sa seule source de revenu. Sans moi, il n'est rien. Et enfin il comprendra qui je suis réellement.

- Petite garce ! Si ton père te voyait, il aurait honte de toi ! Crache-t-il, avant de me gifler violemment.

La violence du choc fait pivoter ma tête sur le côté, laissant un filet de sang chaud couler le long de mon nez.

Les hommes, avec leur ego surdimensionné, ont tellement peur de perdre leur suprématie qu'ils ne peuvent que répondre par la violence. C'est tellement pitoyable.

Ma main se porte instinctivement vers mon visage éraflé, effaçant la trace du sang. Mon regard soutient celui de mon agresseur, si intense que même lui ne peut soutenir mon regard. Pathétique.

- Adieu et bonne soirée, M. Moreau, dis-je avec un mépris palpable.

Je m'avance rageusement vers la sortie, déterminée à ne plus jamais me laisser écraser. J'attrape avec fougue mon sac et ma veste avant de m'évader une bonne fois pour toute de cet endroit rempli de mauvais souvenirs.

La route s'étend devant moi, déserte, sans âme qui vive à l'horizon. L'air glacial de l'hiver s'engouffre dans l'habitacle par la fenêtre entrouverte, venant caresser mon visage. Mon esprit est assailli par le froid, tout comme mes pensées qui cherchent désespérément une solution pour assurer la survie de ma mère et moi.

La nécessité de trouver un moyen de gagner de l'argent se fait plus pressante maintenant que je n'ai plus aucun boulot, afin d'éviter que nous ne sombrions dans la misère avant la fin de cette saison hivernale.

J'ai seulement 20 ans et me voilà à compter les jours qui me restent à passer sur terre. Chaque respiration est un signe qu'il me reste de moins en moins de temps pour trouver une solution à mes problèmes. Je n'ai plus rien sur quoi me reposer, ou du moins sur qui. Je n'arrive plus à tenir cette cadence étouffante qui me prend aux tripes chaque fois que j'ose me tromper de chemin.

Je n'ai plus rien.

Un cri de rage, ou de peine peut-être, se dérobe à moi. Je suis à bout. Je ne tiens plus les rênes de ma propre vie. Je suis sur le point de mourir et j'entraînerai ma mère dans ma chute.

Le vrombissement de ma voiture résonne de plus en plus fort, ponctué par les changements de vitesse. Et si je mettais fin à cette souffrance une bonne fois pour toutes ? En quelques secondes à peine, je pourrais échapper à cette vie misérable qui ne me semble plus m'appartenir.

Mon pied presse vulgairement l'accélérateur. Qu'ai-je à perdre après tout ?

Soudainement, mon esprit ne pense qu'à une seule personne. Ma mère.

Je chasse automatiquement chacune de ses pensées affligeantes et diminue la pression que j'exerce sur l'accélérateur. À quoi penses-tu, Emory ? Abandonner maman ? Comment peux-tu ne serait-ce qu'imaginer partir en la laissant derrière toi ?

Ma main se lève pour couvrir mon visage, mes yeux se ferment instinctivement pendant un bref instant.

Pourtant c'est le temps qu'il faut pour qu'un chat apparaisse au milieu de la route, que je perde le contrôle de mon véhicule et que tout mon corps soit brutalement secoué.

Après ça, ma mémoire a cessé de fonctionner. Je suis déjà plus ou moins morte, de toute manière.

(un)DesirableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant