Chapitre 3 - La routine de Louise

12 0 0
                                    



Une mélodie instrumentale s'élevait des enceintes de la chambre de Louise, annonçant l'heure de se réveiller pour une nouvelle journée d'école. Elle s'étira paresseusement de tout son être avant de se diriger vers la cuisine pour prendre son petit-déjeuner, seule. Un repas savoureux l'attendait, préparé avec soin : de l'avocat crémeux, des tranches juteuses de mangue et des lamelles de saumon fumé. Elle engloutit le tout avec ferveur, avant de se hâter. Elle ne devait pas être en retard, car elle avait rendez-vous avec ses amies pour organiser la tant attendue fête de fin d'année. Consciente de son statut social et des généreuses contributions de ses parents à son établissement scolaire, elle savait qu'elle pouvait exercer son influence pour en choisir le thème. C'était ainsi que fonctionnait le monde, l'argent était le maître des célébrations, le tyran invisible qui dictait les règles du jeu. La richesse ouvrait les portes des opportunités, où le monde des privilégiés s'amusait tandis que d'autres luttaient pour un fragment de cette illusion de bonheur. D'ailleurs, son premier privilège était le fait qu'elle était déjà en possession de sa propre voiture.

Le gouvernement, dans le but d'encourager l'adoption de voitures électriques, avait commencé par abaisser l'âge requis afin de stimuler les ventes. Des mesures incitatives, telles que des primes, avaient également été mises en place pour permettre à chacun d'acquérir un véhicule : c'était l'idée de la croissance verte.

La quête effrénée de la consommation et de la croissance, mue par le noble dessein de financer la protection sociale et de réduire les inégalités, nous avait conduit sur une pente dangereuse. La vente des voitures avait connu une explosion sans précédent, faisant pulluler les conducteurs sur les routes. Les conséquences furent rapides : les accidents se multipliaient mais cette frénésie avait eu un impact bénéfique sur une économie jusqu'alors chancelante. Croissance oui, verte, certainement pas.

Au fil des années, les matières premières s'étaient raréfiées, laissant dans leur sillage des prix exorbitants pour les voitures. La voiture était devenue un symbole de luxe, un moyen de transport réservé aux privilégiés. À travers cette évolution, les véhicules étaient devenus des bêtes de puissance, défiant les limites du raisonnable. Leur vitesse ahurissante permettait de parcourir de grandes distances en un clin d'œil. Le père de Louise, quant à lui, disait que les morts sur les routes permettaient de trier les cons et de lutter contre la surpopulation. Et sa mère d'ajouter, un verre de Châteauneuf-du-pape à la main, que c'était bon pour le PIB d'avoir des tétraplégiques dans les hôpitaux.

C'est dans ce contexte que Louise laissa sa voiture sur une place de parking attitrée devant l'enceinte de l'école. Après une réunion rapide avec ses amies, échangeant des idées passionnées pour donner vie au thème de la fête de fin d'année, le son strident de la sonnerie envahit déjà l'air. Le cours de géographie qui suivit fut une épreuve à part entière. Un vieux professeur, de cent-dix-sept ans au moins, passait son temps agrippé à des concepts dépassés et errait inlassablement dans les méandres d'un savoir érodé. Non seulement il était incapable de dispenser un enseignement valable, mais en prime, il asséna aux élèves un travail colossal. Une tâche que Louise jugeait disproportionnée, mais elle avait une solution toute trouvée : dans la vie, il suffisait de déléguer. Elle savait que la clé de la réussite résidait dans la capacité à s'appuyer sur les forces des autres. La vie était ainsi faite, Louise en était persuadée. La maîtrise de l'art de savoir déléguer permettait de s'affranchir des obstacles, de libérer du temps et de l'énergie pour se consacrer à l'essentiel. Louise avait tout de même déchiffré un paradoxe : la véritable question était de savoir si nous en étions les maîtres ou les marionnettes. Cependant, dans un monde où les défis se multiplient et où les exigences semblent exponentielles, savoir s'entourer des bonnes personnes et leur confier des responsabilités était un précieux atout. Et Louise le savait mieux que quiconque.

- Adam ! s'exclama Louise avec enthousiasme.

- Ça te dirait de faire le travail de géographie avec moi ? Tu sais, mon père a des accès privilégiés à des bibliothèques en ligne...

Adam était le premier de la classe. Un camarade remarquablement intelligent, réservé et surtout docile. Louise avait pris l'habitude de lui proposer de travailler ensemble. Adam absorbait les connaissances avec une aisance déconcertante, tandis qu'elle rayonnait de beauté. C'était un échange qu'elle jugeait équivalent où chacun y trouvait son compte. C'était un élève assidu qui avait dû lutter ardemment pour mériter sa place dans cette prestigieuse école. En tant qu'étudiant boursier, il avait été le seul à obtenir son admission dans la classe de Louise. Conscient que cette dernière exploitait parfois sa gentillesse, il était également lucide sur les avantages auxquels il pouvait prétendre grâce à sa proximité avec elle, compte tenu de leur différence de statut social.

- Tu es certaine que ton père puisse nous fournir ces accès, s'enquit-il. Nous devons travailler sur l'environnement arctique de Lac Hazen, c'est vraiment complexe de trouver des ressources sur ce sujet.

- Mais bien sûr, ne t'en fais pas ! répliqua-t-elle. Viens chez moi ce soir, nous ferons nos recherches ensemble. Après un bref instant de réflexion, elle ajouta : je devrai juste sortir mon cheval pour sa balade à un moment donné.

Adam savait pertinemment ce que cela signifiait : elle s'éclipserait tandis qu'il se chargerait de toute la rédaction. Néanmoins, en acceptant cette proposition, Adam savait qu'il consentait à un accord implicite, où les avantages et les efforts se trouvaient toujours déséquilibrés. Il se sentait à la fois exploité et émancipé. Alors que Louise cherchait à tirer parti de ses compétences, Adam utilisait cette collaboration pour ouvrir des portes vers un monde dont il avait longtemps été exclu.

ResponsableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant