Responsable

Chapitre 10 - Merci

Le rendez-vous pour l'embarquement était fixé à huit heures. Adam avait scruté les actualités et les médias qui dépeignaient l'événement comme une première réunion des Jeunesses Citoyennes, une rencontre promue comme ouverte à tous. La réalité dissimulée derrière cette façade reluisante était bien différente. En réalité, la date annoncée marquait le début de l'embarquement vers la navette spatiale intergénérationnelle, signant la fin imminente du monde. Ce n'était pas une simple réunion, mais plutôt un adieu déguisé, médiatisé de manière à tromper les masses. Adam n'avait pas mangé. Une boule de stress s'était logée dans sa gorge. Des mois de préparation, des mois à envisager de sacrifier sa propre existence pour sauver celle de Louise, et pourtant, la réalité de cette décision pesait toujours sur lui.

Il n'avait cessé de méditer sur cet acte ultime, convaincu de la justesse de son choix. Cependant, malgré sa conviction profonde, son corps résistait, tiraillé entre le désir ardent de le faire et la panique insidieuse qui l'envahissait à l'idée de la mort, de cesser d'être. Il était empreint à une profonde dualité, comme deux dragons qui combattaient dans ses entrailles. D'un côté, la volonté inébranlable de donner un sens à sa vie, de sacrifier son existence pour la personne qu'il aimait. De l'autre, la peur abyssale de l'inconnu, du néant qui l'attendait. Pourtant, il devait agir, il devait laisser un message puissant à l'humanité de demain. Ce n'était pas simplement une quête de survie, mais une quête de témoignage. Ce sacrifice serait bien plus qu'un simple acte individuel. C'était un appel à la réflexion pour les générations futures, un message adressé à ceux qui hériteraient de la terre après le tumulte. Pardonnez-nous. Nous étions aussi capables de rédemption. C'était son devoir, sa responsabilité de faire ce geste pour laisser une trace significative derrière lui.

Louise, restée silencieuse depuis le début, décida finalement d'engager la conversation juste avant l'arrivée.

- Alors... Tu m'emmènes déguster des spécialités locales pour égayer cette dernière journée ? Est-ce que je dois considérer ça comme un rendez-vous ? déclara-t-elle avec un large sourire.

Adam se sentit désarçonné par cette légèreté soudaine.

Pendant un instant, il retrouva l'espièglerie qu'il aimait tant chez elle. Il sentit même son cœur, qui était serré depuis si longtemps, avoir ce pic de chaleur qui envahit tout son être. Un rendez-vous ? Aurait-elle dit oui dans un autre contexte ? Se jouait-elle encore une fois de plus de lui et de ses sentiments envers elle ?

- Je ne sais pas, qu'est-ce que tu préfères ? répondit-il d'un ton incertain.

- Hmm, peu importe. Il paraît que ce n'est pas bon de mourir l'estomac vide et le cœur lourd. répliqua-t-elle en plaisantant.

- Ça n'a rien de drôle, vraiment pas drôle du tout, souffla-t-il.

À ce moment précis, Adam lui-même ne savait pas s'il parlait de plaisanter à propos de la fin du monde ou sur le fait qu'elle aurait pu accepter un rendez-vous avec lui.

- Allez, détends-toi, ce n'est pas comme si c'était une question de vie ou de mort, rétorqua Louise.

Ses mots résonnèrent dans l'air. Ils tentaient tous deux de trouver un équilibre entre l'acceptation de leur sort et la recherche d'un dernier instant de joie.

Ils atteignirent enfin le lieu de rendez-vous, une vaste étendue où se pressait une foule hétéroclite. Des familles entières, des couples, des enfants curieux et des personnes âgées se rassemblaient, partageant l'excitation d'assister à un événement public. Un avion trônait au centre de l'assemblée. L'appareil, d'une envergure impressionnante, était prévu, selon les médias, pour offrir un court vol aux jeunes membres du comité décisionnaire présents. Adam se dit que la véritable navette spatiale devait se dissimuler dans un lieu plus éloigné de l'effervescence générale. La frénésie du jour prenait surtout racine dans l'annonce de la présence inédite de quelques-uns d'entre eux, exposés au grand public pour la première fois. Ces jeunes pavanaient avec une assurance délibérée, portant sur leurs épaules le poids symbolique d'une coopération internationale réussie. Bientôt, cette poignée d'élus, encore ignorant de leur véritable rôle, se retirerait de la foule. Adam espérait sincèrement que faire monter Louise à bord de cet engin serait suffisant pour assurer son arrivée jusqu'à la véritable navette. Adam ressentit un poids croissant sur ses épaules alors qu'il pénétrait davantage dans la foule animée. Des pancartes colorées et des banderoles flottaient dans l'air, témoins d'un espoir collectif et contagieux.

À proximité de l'avion, des tribunes majestueuses se dressaient, remplies de personnalités qui semblaient revêtir une importance particulière. Leurs costumes impeccables, leurs tailleurs élégants, la lueur des cravates et des talons aiguilles émanant de la masse les distinguaient. Leurs gestes étaient empreints de l'assurance de ceux qui sont habitués à être au sommet, à diriger, à façonner le cours des événements. Louise ne pouvait s'empêcher de percevoir cette caricature d'opulence. Elle se demandait combien parmi eux étaient réellement conscients de la réalité implacable qui se dissimulait derrière cette façade de festivités, la menace imminente planant silencieusement au-dessus de leurs têtes snobes.

- Tu sais, j'ai dit à mon père que j'avais réussi à gagner ma place au sein de comité décisionnaire des Jeunesses citoyennes, confia-t-elle soudainement à Adam. Ce dernier se retourna, complètement désarçonné par cette révélation.

- P-Pourquoi ? réussit-il à bégayer, cherchant des réponses dans les yeux de Louise.

- Pour qu'il parte heureux ! répondit-elle en lui adressant un sourire complice.

Une onde de confusion submergea Adam. Était-ce réel ? Louise était-elle vraiment membre des Jeunesses Citoyennes depuis le début ? Avait-elle délibérément saisi qu'il en faisait partie ? Adam se perdait. Perplexe, il ne parvenait pas à démêler le vrai du faux. Louise demeurait insaisissable.

- Allez, il est temps de monter. Viens, je te dis, il faut embarquer ! insista Louise en bousculant légèrement Adam. Elle se dirigea vers l'embarquement en lui tendant la main. Autour d'eux, les autres membres étaient déjà installés dans l'avion. Adam était déconcerté. C'était trop beau pour être vrai. Allaient-ils vraiment embarquer ensemble ? Il avait du mal à croire en cette possibilité. La peur s'évaporait comme une ombre dissipée par la lumière. Adam se confronta à son propre reflet. Les pulsions héroïques qui l'avaient animé, ce fardeau qu'il avait porté avec noblesse, s'effaçait, laissant place à la reconnaissance, au soulagement. Dans cet instant, tout lui semblait possible. Elle était la fille du premier ministre, il était évident qu'elle était protégée depuis le début. Une joie indescriptible l'envahit. Comment avait-il pu ne serait-ce qu'envisager de sacrifier sa vie ? Adam se voyait maintenant dans les prochaines années auxquelles il avait failli renoncer. Une vie avec Louise, une vie ensemble, où ils pourraient reconstruire l'humanité. L'idée de partager chaque moment avec elle, d'imaginer un futur commun, le rendait fou de joie. C'était un sentiment fort, imprenable. Louise avait réussi à lui offrir une porte de sortie, une échappatoire. Ils avaient réussi. Les ténèbres intérieures d'Adam se dissimulaient cependant derrière la façade de la victoire. La résilience de l'homme, son instinct de survie, triomphaient sur l'altruisme.

Arrivés à hauteur de l'agent de sécurité, son esprit bouillonnait. Il s'efforça de rester calme, de masquer le tumulte intérieur qui menaçait de le submerger. Les documents qu'il présentait étaient en règle, mais les battements de son cœur résonnaient dans ses tempes. L'agent de sécurité examina chaque page avec un sérieux imperturbable. Finalement, après ce qui parut une éternité, l'agent consenti à laisser passer Adam. C'était au tour de Louise de monter à bord. Enfin.