Le quotidien de Louise et Adam avait pris un tout autre tournant. Un silence pesant s'était installé entre eux, comme s'ils étaient plongés dans un monde différent, où la réalité tragique qu'ils avaient découverte semblait irréelle, trop horrible pour être vraie. Évoquer le sujet ensemble aurait rendu la chose tangible, alors ils préféraient se taire. Adam avait réussi à convaincre le professeur Crutzen de changer de sujet pour le devoir de géographie, et il avait rédigé le travail seul.
Louise, de son côté, se sentait de plus en plus isolée. L'idée que chaque personne à qui elle parlait était condamnée à disparaître la terrifiait. À quoi bon tisser des liens, si tout était voué à la disparition ? Elle avait perdu le goût des rencontres et des conversations. Elle ne se sentait pas légitime de vivre, mais elle devait pourtant trouver la force d'aller jusqu'au bout. Adam lui avait demandé de lui faire confiance, mais il était lui aussi un adolescent, impuissant face à leur destin funeste.
Elle se demandait comment son propre père gérait cette situation et si sa mère était au courant. Elle avait des envies de révolte, de crier sa colère à son père, de lui demander s'il comptait simplement faire comme si de rien n'était jusqu'à la dernière seconde. Pour occuper son esprit tourmenté, Louise se plongeait dans des recherches, dépensait sans compter et ne sortait de chez elle que pour se rendre aux cours auxquels ses parents l'obligeaient d'assister. Elle avait l'impression d'évoluer dans un monde alternatif, loin de la réalité quotidienne.
Quant à Adam, il avait constamment les sourcils froncés, son regard se posant souvent sur Louise, presque de manière obsessionnelle. Les mois passaient, et leur communication devenait de plus en plus rare, comme si un abîme s'était creusé entre eux. Dans ces moments de solitude et de questionnements, Louise et Adam se demandaient qui d'entre eux avait raison. Qui était dans le juste ? Fallait- il se résigner à accepter leur destin tragique ou bien chercher à se battre, à trouver une issue ? La confrontation silencieuse de leurs regards reflétait leurs doutes, leurs peurs et leur quête de sens.
7 juin 2050
Wangari se leva avant le coq. Si nécessaire, elle serait allée lui crier dans les oreilles. Elle consulta sa montre pour vérifier le nombre de points qu'elle avait accumulés la veille.
- C'est fait... Enfin ! Nonante-neuf points.
Wangari avait gagné sa place tant désirée. Après cette journée, elle n'aurait plus jamais besoin de ses lunettes connectées. Pourtant, au petit-déjeuner, une certaine morosité régnait dans l'air. Elle aperçut Maynard au loin, remuant une purée ratée dans son assiette. Lui non plus ne semblait pas d'humeur à la fête.
- Tu as remarqué ? Nous sommes en binôme aujourd'hui, déclara Wangari d'une voix douce, une douceur inhabituelle chez elle.
Maynard releva la tête et lui offrit un faible sourire.
- J'ai surtout vu ce classement, dit-il en faisant un signe de tête vers le tableau noir situé au-dessus du buffet.
La phrase : nouvelle règle du jeu : tous les participants en dessous de quatre-vingt-cinq points seront exclus automatiquement du programme. Wangari regarda rapidement la montre de Maynard. Quatre-vingts.
- Je ne pourrai jamais gagner cinq points en une journée, continua-t-il. Tout le monde va se précipiter sur la tâche bonus du jour, et elle ne me rapportera rien du tout.
Un sentiment de panique envahit Wangari, mais elle se reprit rapidement.
- Non, ne t'inquiète pas, on va trouver une solution, dit-elle d'une voix tremblante, même si elle n'y croyait pas vraiment.
- Tu sais ce qui me rend le plus triste ? dit Maynard, les yeux perdus dans le vague. C'est que je ne pourrai plus passer mes journées à te taquiner.
Un silence s'installa entre eux, traduisant une tristesse inexprimée. Ils savaient tous les deux que le temps leur était compté, que chaque instant était précieux. La journée s'écoulait entre éclats de rire et mélancolie.
Wangari et Maynard se trouvaient dans une situation délicate.
Ils savaient que c'était leur dernière rencontre et, au fond, ils ne sauraient jamais qui se cachait derrière les avatars virtuels. Malgré cela, même sans connaître leur âge, leur apparence ou les détails personnels, ils avaient réussi à tisser une relation basée sur l'appréciation mutuelle. Un lien de confiance qui lui, n'avait rien de virtuel. Ils sentaient l'approche imminente de la déconnexion, une déconnexion qui serait bien plus définitive que celles qu'ils avaient connues auparavant. Maynard, d'ordinaire si enjoué, semblait perdu. Installés sur un ballot de paille fraîchement conçu, tous deux contemplaient le crépuscule qui s'étendait sur le champ virtuel, teintant le paysage de nuances d'orange et de pourpre. Maynard ne pouvait s'empêcher de penser que les développeurs avaient peut-être été un peu trop réalistes : la paille le démangeait sérieusement et il ne pouvait s'empêcher de se gratter.
- Tu sais, Wangari, j'ai besoin de te dire quelque chose. murmura-t-il d'un ton hésitant. Même si, au fond, nous ne nous connaissons pas dans la vraie vie.
Un silence s'installa entre eux. Wangari était partagée entre rappeler à Maynard le respect des règles et la curiosité de savoir ce qu'il allait dire. Finalement, il brisa le silence.
- Je crois que je suis éperdument amoureux de toi. Peu m'importe de ne pas savoir qui tu es. Je ne sais rien de toi, ni ton visage, ni ton passé, mais ça n'a aucune importance, car au plus profond de moi, je sens quelque chose d'incommensurable. Je sais que j'aime passer du temps avec toi. Je me sens bien quand je suis avec toi. Je sais, au plus profond de moi, que le temps passé à tes côtés est ce qui m'a rendu vivant ces derniers temps. J'ai l'impression d'être moi-même, je ressens une plénitude. Je crois que je suis entier quand tu es là. J'ai l'impression que c'est une alchimie du cœur, une synergie d'âmes. Ce que je ressens est bien réel, peu importe où nous sommes.
Un silence s'installa à nouveau tandis que le souffle du vent balayait les cheveux de Wangari avec lenteur. Après un instant, elle prit la parole.
- Est-ce que tu donnerais ta vie pour la mienne ? dit-elle sans détourner le regard du soleil.
Maynard pris le temps de réfléchir. Quelle drôle de réponse à une déclaration d'amour.
- Non. Je ne donnerai ma vie pour personne. Je ne dis pas que ta vie à moins de valeur que la mienne, mais elle n'en a pas plus non plus. Nos vies sont des entités indépendantes, des réalités subjectives qui transcendent n'importe quelle mesure. Je ne prétends pas que ta vie a moins de valeur que la mienne, mais je refuse de les quantifier, de les comparer. Au final, ça change quoi ? Quelle est la signification profonde de ce sacrifice, de cette comparaison ? Nos vies sont des énigmes, des récits sans aucun sens tissés dans le temps. Pour qui ferions-nous ce sacrifice ? Pour nous-mêmes ? Pour l'autre ? Ou pour une abstraction de la morale et de l'amour ?
- Pour moi, quand on aime réellement quelqu'un, la notion de sacrifice devient une évidence, car une vie sans cette personne devient tout simplement inconcevable...Tu n'es pas amoureux. Tu es amoureux de l'idée que tu te fais de l'amour. Et puis, tu dis ça mais... Tu te confies dans un monde où nos identités sont un mystère. Qui te dit que je ne suis pas une fille de dix-huit ans, tandis que tu es un petit garçon de quatorze ans ? Les avatars que nous portons sont des masques, des reflets déformés de la réalité, tu ne sais pas de quoi tu parles.
- Et toi, qui te dit que je ne suis pas une fille de dix-huit ans ?
- Parce qu'il n'y a que les petits garçons naïfs qui aiment sans savoir ce que ça signifie vraiment.
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Science FictionDans un futur proche, tandis que la Terre vacille sur le fil du destin, Adam et Louise se retrouvent piégés dans un jeu de pouvoir insoupçonné. Leurs choix les confrontent à des dilemmes moraux, mettant à nu leur loyauté, leur courage, leur amour et...