𝟺𝟶 - 𝙳𝚎𝚖𝚊𝚒𝚗, 𝚎𝚝 𝚝𝚘𝚞𝚜 𝚕𝚎𝚜 𝚊𝚞𝚝𝚛𝚎𝚜 𝚓𝚘𝚞𝚛𝚜.

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Titàn

Adossé à mon Hummer, je fixe l'unique route tel un prospect sur le point de vivre son premier gros raid. Appréhension et excitation se distillent dans mes veines pour battre la mesure. J'ai beau fouiller ma mémoire, je n'ai jamais été aussi en proie à la fébrilité que depuis qu'une certaine petite bombe aux courbes démentes et à la langue téméraire a croisé ma route.

Enfin, croisé... Je me comprends.

Le visage offert aux dernières minutes de pénombre, je dresse mentalement le bilan d'une année qui a laissé des traces sur mon Clan. On en a chié, et c'est peu de le dire. On a essuyé des défaites, enterré des frères, des amis, cumulé les insomnies, retourné le problème des Red Road's Hell dans tous les sens car infoutus d'assumer que la réponse se trouvait peut-être sous nos nez. Durant des mois, on a avancé sur des charbons ardents en faisant du surplace. On est restés soudés dans la peur, la rage, le deuil et l'impuissance. Soudés, même lorsque la vérité nous a explosé à la tronche pour nous révéler à la fois le visage d'un traître insoupçonné et ceux, plus familiers encore, coupables d'avoir cultivé un insidieux silence, pas moins léthifère que cette ordure de Danny. On est sortis victorieux de ce merdier, fiers de ne pas avoir plié et d'avoir su défendre notre territoire. Un peu moins de ne pas avoir senti la pomme pourrir de l'intérieur de nos frontières.

Au milieu du bronx de mes pensées, il y a Sawyer. La jeune femme unique qui m'a pris en otage, quelque part entre la douceur de ses pétales et le venin de ses épines. Un endroit fait sur mesure pour moi, alors que je ne m'attendais pas à ça. À nous. Mais on y est enfin, exactement là où nos vies devaient nous mener. J'ai lutté pour ne pas vaciller avant de comprendre que c'était l'itinéraire sine qua non pour mieux me relever.

Rose n'est pas un frein à mes résolutions. Au contraire, elle est le catalyseur de la meilleure version de moi-même.

Je me serais damné pour elle, jusqu'à mériter ma rédemption.

Dix mois qu'elle a déboulé dans mon monde. L'impression de l'avoir toujours connue m'accompagne non stop, autant que celle d'avoir simplement erré dans les limbes de son absence avant qu'elle ne vienne me secouer les puces. Je suis aussi constamment bouffé par la peur qu'il lui arrive quelque chose, réveillé dès qu'elle ne dort pas contre moi, à m'imaginer que Danny a fini par terminer ce qu'il avait commencé. J'ai néanmoins accepté de faire confiance aux Esprits quant à sa sécurité. Mais juste au cas où ils seraient d'humeur à me foutre en rogne, Reed et Diego ont été chargés de la surveiller de loin – juste ce qu'il faut pour qu'elle ne s'en aperçoive pas.

Lenny l'a bien entraînée. Aucune envie de me faire érafler la tronche par ma bagarreuse en colère.

Mon corps se décolle de la carrosserie quand je distingue sa bagnole arriver dans ma direction, tous phares allumés. À cette heure-ci, la ville est encore endormie. Pas moi. Ni Zeus, occupé à vérifier si des taupes ne se terrent pas dans les quelques trous qui pointent leur nez ici et là. Dans mon thorax, mon palpitant s'emballe. Plus moyen de faire demi-tour. La crainte de me prendre un rateau me colle sacrément à la peau. Ashton a beau être convaincu que mon idée est une étape indispensable dans le processus de guérison de Rose, je flippe de sa réaction, de foutre en l'air les progrès qu'on a faits depuis qu'on est rentrés de Paris, à une semaine d'intervalle.

Elle pourrait me rire au nez. Me demander si je n'ai pas abusé d'un truc concocté par notre bon vieux chaman.

Ou juste nous fuir, moi et mes idées.

Sa Corvette ralentit à la lisière de la route goudronnée. De loin, je lui fais signe d'avancer jusqu'à moi. Elle immobilise sa caisse à quelques pas de la mienne, la mine sceptique. Il faut dire que ce n'est pas souvent que ma tigresse se fait réveiller à 5 heures du matin par un appel qui l'enjoint de me retrouver à une adresse qu'elle ne connaît pas. Mais elle est là, belle comme le jour, avec ses grands yeux voilés de curiosité et ses lèvres pincées. Les mains dans les poches de mon sans manches, je l'observe sortir de sa voiture, son petit nez en l'air. Cinq secondes plus tard, elle me saute dans les bras et vient cueillir ma langue. Cette sensation qui me chatouille les tripes est devenue ma préférée. Même ma bécane poussée à fond sur une ligne droite ne me permet plus de me sentir aussi vivant. Le petit corps de Rose contre le mien est un baume que Kanda ne saurait reproduire avec ses herbes et ses incantations.

SAUVAGES  | romantic-suspense en cours de retraitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant