Irina

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Et quel spectacle !

Sur le lit de Morgath Adelfi, il ne restait plus que la trace de sa silhouette meurtrie, recroquevillée en posture fœtale, comme le jour où elle avait été découverte sur le palier du monastère. Elle n'était plus là. A l'emplacement où son corps aurait dû se trouver, les couvertures étaient comme rongées par un mal indiscernable. Peut-être était-ce de l'acide, ou de la pourriture, le tissu paraissait dans un état de décomposition avancé.

– Des cendres ? demanda Célia, les yeux brillants, ayant espoir à cet instant d'avoir découvert la nature de Morgath.

– Je vois que vous pensez à cette vieille légende du Phénix, dit la vieille femme. J'aurais aimé que ce soit un Phénix, j'aurais aimé même ne serait-ce que pouvoir mettre un nom sur cela. Peut-être était-ce un Phénix, mais dans ce cas, sa signature était sinistre, empoisonnée.

Ainsi était partie Morgath Adelfi, de manière aussi abrupte qu'elle était arrivée.

– Mais elle a laissé un cadeau, n'est-ce pas ? demanda Célia.

Le destin avait-il voulu cela ? Il y avait en effet quelque chose d'autre, au milieu des traces effroyables laissée par la créature, quelque chose de pur et beau. Un nouveau né, recroquevillé dans la même posture fœtale que la mère, quoique d'une taille bien plus menue.

Ce bébé, il s'agissait de Irina.

– Elle était tellement magnifique, dit la vieille femme. Triste, silencieuse, déjà, et en grandissant, toujours un peu absente, mais radieuse. Je l'ai élevée comme sa mère, même si j'avais peur au fond de moi. Peur qu'elle devienne comme Morgath, que sa peau se fane, que le handicap de sa mère la frappe, par la même effroyable malédiction. Dites-moi, jeune fée, cela n'est pas arrivé, n'est-ce pas ? Irina va bien.

– Ce n'est pas arrivé, répondit Célia avec émotion. Irina est bien vivante, et toujours aussi radieuse.

– Merci. Merci. Je ne peux pas m'empêcher de craindre le pire pour elle. C'est plus fort que moi, je ne suis pas sûre que... vous voyez, je ne suis pas sûre...

– Qu'elle puisse échapper à son destin, dit Célia en prenant de nouveau les mains de la vieille Abbesse.

Celle-ci hocha la tête, avec crainte et regret.

– J'ai dû finalement partir, dit-elle. Abandonner le bonheur de la voir grandir. Elle avait 8 ans à mon départ. Mais j'étais trop épuisée. Je vieillissais, voyez-vous, trop vite. Sans qu'aucune médecine ne puisse l'expliquer. Si bien qu'un jour, un beau monsieur est venu me chercher au monastère et m'a amenée ici, en me promettant que l'on s'occuperait de moi.

Il s'agissait de Roman Benedict, évidemment.

– Et il n'a pas menti, dit Ioana. Jamais de ma vie nul ne s'est occupé de moi aussi bien qu'ici. Ce n'est pas le paradis, vous savez, mais je suis trop épuisée pour prétendre à autre chose.

Célia observait son interlocutrice et ses rides, avec un mélange de joie et de peine. Elle lisait dans ses yeux le soulagement.

– Je n'en ai plus pour longtemps, dit encore Ioana. Je le sais. Je résiste encore, peut-être parce que je savais que vous viendrez un jour. Merci d'être venue, de m'avoir permis de libérer mon coeur de ce fardeau. J'ai eu une belle vie... Et le seul fait d'avoir connu Morgath, même si je comprends aujourd'hui qu'elle s'est nourrie de ma sève vitale, fut la plus merveilleuse des expériences.

Milan Lazsco : La Dette [E4 Quadrilogie du vampire] terminéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant