Chapitre 1: JOE

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 Cela fait deux jours que je les surveille de loin. Il semble que Mila ne soit pas présente pour le moment. Ou alors, elle a déménagé. Je dois admettre que cela ne me facilite pas la tâche. Je ne savais pas où aller. Il me fallait un endroit que personne ne connaissait. Je n'ai pas vu ma meilleure amie depuis tellement d'années...

Bien que nous soyons restées en contact téléphonique pendant une longue période, la fréquence de nos appels a progressivement diminué. La vie nous a un peu séparées. Je vois beaucoup de bikers pénétrer dans l'établissement. Je n'ai pas encore osé franchir la porte. Pourtant, je ne peux pas rester assise sur cette marche indéfiniment. Je ressens une douleur diffuse sur presque tout mon corps, elle est constante et a tendance à s'aggraver. Ma démarche est traînante à cause de la souffrance. Je suis à court de médicaments et je ne souhaite pas me rendre dans une pharmacie, étant donné que je sais qu'ils vont les mettre sous surveillance. Même si je suis loin, on ne sait jamais. Félix m'a donné beaucoup d'argent, mais je dois en garder un peu au cas où. Il a fallu que j'achète une bagnole pour m'enfuir rapidement et assez loin. Je me suis fait violence pour ne pas flancher. La douleur qui perclus mon corps est horrible. Pourtant, le pire, c'est la souffrance morale, qui elle est intolérante et poignante. Mais j'essaie d'apprendre à la dompter.

Trois mecs sortent de la rue de derrière. Ils portent des jeans usés, ainsi que des blousons en cuir. Le même pour les trois, évidemment. Je les ai vu arriver il y a deux heures. Je reste en retrait, ne voulant pas me faire remarquer. Mes lunettes de soleil cachent une grande partie de mon visage. Le foulard noir qui couvre ma tête, camoufle mes cheveux, et celui qui entoure mon cou, évite à qui que ce soit de voir les hématomes qui fleurissent sur ma peau. Je m'abstiens de les examiner de près, afin d'éviter de croiser leur regard et de me faire remarquer. Ils enjambent leurs énormes deux-roues et s'éloignent en faisant entendre le bruit des moteurs.

Il est temps pour moi de pousser la porte de l'établissement. Mon cœur bat la chamade, car j'ai peur qu'ils ne m'identifient. Je sais que, aux dernières nouvelles, Mila habitait ici, dans ce club, avec son frère. La vie nous a séparé sans que l'on n'y puisse rien. L'odeur est la même que de là où je viens. Un mélange d'alcool, de poussières, de fumée et d'un je ne sais quoi en plus. Peut-être le danger, ou la dépravation...

Le bar est assez vaste avec un grand comptoir tout le long du mur de droite. Des tables envahissent tout l'espace. Les murs sont blancs, tout le mobilier en bois foncé. La fumée de cigarette s'accumule dans l'atmosphère, lourde et puante. Tous les regards convergent vers moi, mais je ne m'y arrête pas, même si mon cœur s'affole à leur proximité. Je vais vers une table à part et m'y affale, tout en gardant mes lunettes de soleil, qui sont mon seul bouclier face aux autres. Une serveuse approche pour prendre ma commande. Je ne vois pas son visage, gardant le mien baissé. J'aperçois des jambes nues interminables, recouvertes par une jupe minimaliste. Mais dans ces endroits, c'est souvent le cas. Je n'y fais pas vraiment attention. Je m'efforce de cacher mon visage pour ne pas éveiller les soupçons, tout en sachant que ma façon de marcher en boitant et mon apparence ne sont pas les plus discrètes pour se fondre dans la masse. Je commande un jus de fruit, en observant les clients à la dérobée. Il y a surtout des motards, le peu de femmes présentes sont des filles faciles qui veulent se taper des bad boys. Des nanas en manque de frissons ou alors des putes. Les blousons d'appartenances des nombreux mecs me montrent que je suis au bon endroit. Mila et moi étions à l'université ensemble, mais jamais elle n'a voulu que je vienne au club de sa famille. Pourtant, nous avons passé cinq ans ensemble comme colocataires. Les plus belles années de ma vie...

Je ne m'attarde pas plus d'une heure, afin de ne pas susciter de questions. La musique est assez forte, ce qui, en règle générale ne me dérange pas. Mais aujourd'hui, j'ai mal à la tête et le son assourdissant est difficilement supportable. Je ne vois mon amie nulle part. Je n'ai plus mon téléphone, qui contenait ses coordonnées. Ils me l'ont pris sans que je ne puisse le récupérer. Alors je dois faire autrement. C'est une question de survie ! Je ne sais pas combien de temps, je vais pouvoir tenir sans aide, mais je ne peux avoir confiance en personne. Je ressors comme je suis venue. Le but étant de ne pas me faire trop remarquer, mais qu'ils m'aperçoivent tout de même. Juste pour qu'ils s'habituent à mon image. Je sais qu'ils sont plus que soupçonneux, je dois être prudente. Je ne passe pas inaperçue dans le décor avec mon foulard et mes lunettes, mais ce sera encore pire, si je les enlève. Je boitille jusqu'à ma voiture, en regardant autour de moi en permanence pour vérifier que je ne suis pas suivie. Je suis en proie à une douleur sournoise et épuisante. Lorsque j'arrive enfin à mon véhicule, qui est planqué dans une zone désaffectée, je suis à bout de force. Je dois me reposer. Je me glisse par le coffre dans l'habitacle, dans lequel j'ai plié les sièges arrières pour m'en servir de lit. Je referme derrière moi, me roule en boule pour me reposer un peu. Je dois économiser un maximum mon argent, hors de question d'aller à l'hôtel ou de louer un appartement.

Je suis encore devant le grand portail qui donne dans la cours du bar. Deux gars de chaque côté, semblent surveiller et éviter que des personnes indésirables passent de l'autre côté du bâtiment. Je pense que c'est là que vivent les familles. Le parc à l'air très grand. Selon l'itinéraire indiqué sur la carte, il n'y a pas d'autre chemin pour accéder aux bâtiments à l'arrière. J'ai essayé de faire le tour, mais il y a un haut grillage qui entoure l'enceinte. Mila est peut-être là-bas ? Mais pourquoi ne sort-elle jamais ? Je vais devoir m'asseoir tellement l'élancement dans mon corps est atroce. Je me pose sur le trottoir en appui contre le mur, face au bar. Je reste là pendant longtemps, avant de décider d'aller boire un café. J'ai de la chance que l'on ne soit pas en hiver, parce que le froid serait difficilement supportable. Le printemps est là, avec son soleil agréable, me donnant un peu de chaleur. Je traverse donc le portail, tandis que les deux motards à l'entrée me regardent avec méfiance. Mon cœur s'affole, mais je n'y fais pas attention. Après tout, je sais très bien donner le change et être impassible. J'ai été à bonne école toute ma vie. Je ne dois pas craquer, pas tant que je ne serai pas en sécurité auprès de Mila. Si je commence à me laisser aller, je ne pourrai plus m'arrêter.

Je bois à petites gorgées, mon regard passant des uns aux autres. Je sais que j'attire les regards. Quatre mecs pénètrent dans l'établissement. Tous avec les mêmes blousons. Je peux lire l'écusson du président et du vice-président. Je les scrute attentivement, bien que la netteté de mon regard soit affectée par la distance, ainsi que par mes blessures. Le plus vieux est bedonnant, avec des cheveux gris et longs, retenus par un bandana. Son visage mat a l'air buriné, comme s'il avait passé des heures au soleil. Le président est de dos, il est large de carrure avec une taille fine. Il me paraît très musclé. Ses cheveux sont épais mais pas trop longs, blonds ou châtains clairs peut-être. Il tape dans la main du barman, puis sur l'épaule d'un autre mec. Il est chez lui ici, comme tous ceux qui portent le même cuir. Le troisième, le vice-président est jeune aussi, il a le regard tourné vers moi, les yeux plissés. Je ne le détaille pas plus. Il vaut mieux que je me barre avant qu'il ne vienne me parler. Je me lève, pose l'argent de mon café sur la table, puis je prends la direction de la porte. J'entends siffler derrière moi, mais je ne me retourne pas, je fais comme si je n'avais rien entendu. Je me précipite à ma voiture en boitant encore plus qu'hier, la douleur étant plus forte. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir...

The shadows of the phoenix; tome 1: IdentitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant