Des centaines de faës s'étaient réunis devant ce qui devait être le palais de la cour de printemps. Sidérée, je ne parvenais pas à intégrer les détails des lieux. Trop de monde. Trop d'émotions. Sans parler de l'angoisse qui enserrait ma gorge d'une poigne féroce. Ma sortie du carrosse avait provoqué une réaction à laquelle je ne m'attendais pas face à une foule pareille. Un silence de plomb était tombé sur l'assistance. Tous me dévisageaient. Quelques murmures s'élevèrent. Je ne déchiffrai pas la teneur de leurs paroles, à mon grand soulagement. Je préférai ne pas entendre les commérages et les insultes qui couraient sur moi. Peut-être que certains d'entre eux serviraient ma cause : la peur peut être un bon moyen de garder les gens à distance et je savais que moins les faës m'approcheraient durant mon voyage, mieux je me porterai. J'ignorai comment j'allais m'en sortir vivante si tous les faës mutaient en bêtes sanguinaires la nuit venue mais dans l'état actuel des choses, j'essayais de procéder par étapes, craignant de m'effondrer. Les explications de Titania avaient été vagues. Je découvrirais les choses en tant voulu.
Les individus qui nous entouraient étaient tous des faës. Il n'y avait pas de traces de farfadets ou d'autres créatures asservies aux faës comme les hobgoblins ou les trolls. Leurs hautes silhouettes se dressaient de part et d'autre de l'allée pavée, dégageant un accès direct vers le palais. Des centaines de pupilles rondes ou félines me scrutaient, faisant peser sur moi le poids du ressentiment et de la haine qui animait le Peuple tout entier.
Mab se retourna et m'adressa un sourire de prédateur. Elle devait savourer mon malaise et ma peur, même si je mettais tout en œuvre pour les dissimuler au mieux. Je m'efforçais d'avancer d'un pas sûr, les dents serrées et la tête droite. Je ne baissais pas les yeux. Je refusais de montrer une once de culpabilité face à un crime que je n'avais pas commis. Le chemin jusqu'aux portes me sembla interminable. Les murmures s'amplifiaient autour de nous. Mes pensées s'envolèrent malgré moi vers ma mère, me permettant d'ignorer les réactions qui enflaient dans le public au fur et à mesure de mon avancée.
Durant toutes ces années, j'étais parvenue à étouffer ma rancœur, ma peine et ce sentiment d'injustice qui cherchaient par tous les moyens à fleurir au creux de ma poitrine depuis le premier jour. Mais ce soir-là, sous les lueurs flamboyantes du soleil en déclin, ils s'épanouissaient en moi comme des ronces et du lierre le long des murs, rivant leurs crochets directement dans mon âme. Je ne parvins pas à les maîtriser, à les faire taire et ils me submergèrent à un point tel que je sentis les larmes monter. Je levai les yeux en l'air, espérant endiguer la vague.
Je suis là. Je suis ton plus grand secret. Ton meilleur allié. Ne te laisse pas intimider par leur nombre. Nous sommes infiniment plus puissants qu'eux. Ils sont trop arrogants pour le voir et cela nous servira. Plus tard...
La voix d'Ubis soulageait mon âme et mon cœur comme l'aurait fait un baume sur une contusion. Son intervention avait coupé la dynamique dans laquelle mon cerveau s'était embourbé. Je réalisai que j'étais enfin parvenue devant les portes du palais et derrière la silhouette raide et l'air hautain de Mab, je devinais Titania. Elle se décala légèrement et un sourire sincère se dessina sur son visage. Quelques secondes plus tard, Mab m'offrait à nouveau un rictus plein de dédain.
Les faës étaient désunis. Ils n'étaient que rancœurs, intrigues, trahisons et manigances. Leurs jeux de pouvoir n'avaient de cesse de corrompre leurs relations. Face à de tels enjeux, les amitiés se flétrissaient et même les amours périssaient, parfois au fil de la lame, ou par l'administration de quelques larmes de poison. D'après ce que j'avais pu entendre, plus les faës étaient haut-placés dans la noblesse, plus leur loyauté était versatile. Tout cela finirait par les desservir. Je devais pouvoir tirer avantage de leur nature.
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Corbeaux et malédictions
Viễn tưởngIl y a sept ans la mère d'Arabella a maudit Le Peuple faë par pure vengeance, transformant toute naissance en drame. Celles-ci sont extrêmement rares au sein du Peuple et lorsqu'un nouveau né disparaît à nouveau, Arabella, devenue adulte, est contra...