Des heures plus tard, l'eau de mon bain avait refroidi depuis longtemps, et alors que ma tante et ma sœur dormaient dans la chambre à poings fermés, je n'étais ni endormie, ni même étendue. Assise sur le divan, je me levais pour faire des allers retours réguliers vers la porte de notre suite. Aux aguets, je plaquais mon oreille sur le battant en bois, essayant par tous les moyens de percevoir le moindre mouvement ou bruit en provenance du couloir. Malgré tous mes efforts de concentration, je ne discernais rien.
Tu fais vraiment une piètre espionne, me railla Ubis.
— Tais-toi, répondis-je. Je vais tenter une sortie.
Arabella, ne fais pas ça.
J'ignorai la mise en garde de mon familier et remontai les barrières de sécurité avec précaution. Comme il n'y avait pas de pendule dans les appartements qui nous avaient été attribué, je ne pouvais pas savoir l'heure exacte qu'il était. Néanmoins, j'étais persuadée que minuit approchait. J'entrouvris la porte en douceur, serrant les dents de crainte qu'elle ne grince.
Rien.
Je penchai légèrement la tête pour observer la partie du couloir sur ma gauche, et répétait ensuite l'opération à droite.
Personne.
La courbure du corridor ne me permettait pas de voir assez loin, ce qui fait que je finis par m'extraire de notre suite avec précaution. J'étais plantée au milieu du couloir, à tendre l'oreille en quête d'un bruit ou d'un signe qui me prouverait que tous les faës des environs s'étaient déjà mués en monstres, quand j'eus soudain la sensation d'être observée.
— À quoi vous jouez ?
Mon cœur manqua un battement et je fis volte-face.
Je me retrouvais nez à nez avec un faë. Ses cheveux étaient aussi noirs que les plumes d'Ubis, semblables jusque dans les reflets bleutés qui les animaient. Adossé au mur, les bras croisés sur le torse, il me dévisageait d'un air perplexe. Il émanait de lui le soupçon d'arrogance que dégage ceux qui savent pertinemment qu'ils sont beaux. Et une chose est sûre, celui-ci possédait non seulement des traits remarquables mais également un charme incontestable qui pimentait le tout. Une cape de voyage épaisse de couleur noire, beaucoup trop chaude pour la cour du printemps, enrobait sa silhouette athlétique. Ses yeux gris et perçants entrèrent en collision avec les miens et ce fut comme si un uppercut m'avait coupé la respiration. J'y lus à la fois de la curiosité et de l'inquiétude. Troublée, je ne parvins qu'à balbutier.
— Vous êtes la sorcière, murmura-t-il.
Ce n'était pas une question, et cela me déplut.
— À qui ai-je l'honneur ? demandai-je, sur la défensive.
Un sourire plein de défi s'étala sur son visage.
— Il est trop tôt pour que je vous le révèle, ma chère. Vous n'appréciez pas le mystère ?
D'un mouvement fluide de l'épaule, il s'écarta du mur et se rapprocha de moi d'un pas nonchalant. Il sortit une montre à gousset de dessous sa cape. Je n'avais jamais vu un tel spécimen. L'objet était translucide, comme s'il était entièrement constitué de verre.
— Puis-je savoir pourquoi vous sortez de votre suite à une heure si tardive ?
— J'ai entendu dire qu'il y avait une fête ce soir, répliquai-je d'un ton badin. Je pensais me joindre aux festivités.
Ubis choisit ce moment précis pour me rejoindre. Il se posa sur mon épaule et croassa bruyamment. Le faë me fixait toujours. Ses traits fins n'exprimaient aucune émotion.
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Corbeaux et malédictions
FantasyIl y a sept ans la mère d'Arabella a maudit Le Peuple faë par pure vengeance, transformant toute naissance en drame. Celles-ci sont extrêmement rares au sein du Peuple et lorsqu'un nouveau né disparaît à nouveau, Arabella, devenue adulte, est contra...