Chapitre 3

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Mes heures de solitude s'égrenèrent avec une lenteur abominable. Je perdis un temps infini à essayer de trouver une solution pour me tirer de ce mauvais pas sans utiliser ma magie. Hélas, je devais me rendre à l'évidence : je ne pouvais rien faire sans provoquer de représailles. Fuir nous conduirait, ma famille et moi, à une vie clandestine, passée à surveiller nos arrières. J'étais impuissante pour le moment. Inutile. Enfermée à double tour dans une cellule faë en attendant que l'on décide de mon sort.

Ubis resta étrangement muet. Je pensais qu'il me harcèlerait afin que je le libère, pressé d'agir pour nous sortir de cette cellule. Il n'en fit rien. Je lui fus reconnaissante de m'accorder cette paix. J'avais besoin de silence.

De temps à autre, je sentais la caresse de son esprit sur le mien. Cette sensation, semblable à une étreinte légère, me réchauffait le cœur. Je n'étais pas seule et il ne m'en voulait pas de lui imposer de rester en retrait.

Le jour se leva sans sommation, du moins c'est l'effet que cela me fit. À un moment donné, je somnolais dans une obscurité épaisse, consciente de chaque petit bruit qui peuplait les cachots. Puis l'instant d'après, un soleil éblouissant se déversait au travers du soupirail, répandant une lumière trop vive dans ma prison et transperçant mes rétines. Pourtant, un peu plus tôt, l'absence totale de lumière m'avait presque rendue folle. 

Une fois le jour levé, un garde m'apporta à manger par deux fois, sans m'adresser un mot ou même un regard. Je ne touchai à rien en dehors de l'eau. Lucida m'avait expliqué que c'était la seule chose que les humains pouvaient consommer sans risques en territoire faë.

Personne d'autre ne me rendit visite.

Lorsque je sentis que le soleil déclinait, rafraichissant l'air tiède et hérissant ma peau de chair de poule, je décidai qu'il était temps. Je refusais de rester croupir à ne rien faire plus longtemps, en attendant que d'autres décident de mon sort.

Je tendis l'oreille pour m'assurer qu'il n'y avait personne à proximité, et j'appelais Ubis.

Moi seul ? demanda-t-il.

L'espoir perçait dans sa voix. Mon familier appréciait de mener ses missions en solo mais les sorties avec ses alters le rendaient extatique. Ubis possédait un esprit de meneur.

— Il faut que tu sois discret. Seul, tu n'éveilleras pas trop les soupçons, bien qu'ils ne doivent pas y avoir beaucoup d'oiseaux de malheur à la cour de printemps, mais sept corbeaux ! Autant lancer des feux d'artifices pour leur signaler que je veux m'évader.

Oiseau de malheur ? Je suis profondément blessé. Je vais trouver la clé de ta cellule et la gober.

— Allons, tu t'ennuierais sans moi, rétorquai-je. Et puis cette clé voudra ressortir par les voies naturelles, un jour !

Tu es écœurante.

Je ne pus m'empêcher de rire. Avant d'invoquer Ubis, j'écoutais une dernière fois les bruits environnants avec attention. Il ne fallait pas que l'on nous surprenne. Aucune excuse ne pourrait couvrir ma nature.

Appeler Ubis était devenu aussi naturel pour moi que respirer. Je défis les boutons de ma chemise et la descendis en dessous de mes omoplates. Je me concentrai, tendant mon esprit vers le sien, un peu comme si je lui ouvrais les bras métaphoriquement. Je sentis son corps s'extirper avec lenteur du mien, à l'endroit exact où mon épiderme se colorait de nuances de noirs, dans ce qui ressemblait à s'y méprendre à un tatouage en forme de corbeau. Le dessin de ses larges ailes déployées, les courbes souples et douces de ses plumes, la finesse de ses serres, chaque infime partie de son être s'encrait en moi avant de devenir tangible à l'extérieur. Un long frisson parcourut mon échine et lorsque j'ouvris les yeux, il était là, secouant ses plumes et faisant claquer son bec.

Corbeaux et malédictionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant