Chapitre 9

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Dans un premier temps, je somnolai. Même si nous n'avions eu qu'à nous laisser porter par le fiacre, j'étais harassée. Les derniers jours avaient été riches en émotion. La fatigue eut raison de moi en un rien de temps et Morphée me cueillit sans que je n'oppose la moindre résistance. Je me réveillai en sursauts à plusieurs reprises. Emportée par son propre poids, ma tête ne cessait de tomber en avant durant mon sommeil. Alors que j'essayais de changer de position afin de me rendormir, ce qui n'était pas une mince affaire compte tenu de mon installation ; des bruits étranges captèrent mon attention. Je plissai les yeux, essayant d'apercevoir Léandre et le fiacre stationné en lisière de forêt. Un clair de lune vif jetait son éclat sur la campagne environnante mais les ramures des arbres obstruaient ma vue. Je ne parvenais pas à déterminer la nature du corps que j'entrapercevais.

De forts halètements se firent entendre, suivis d'horribles craquements. J'entendis des couinements et un cri animal en provenance du lieu où se trouvait le faë. Je cessai aussitôt de remuer. Ce n'était pas le moment d'attirer son attention. J'essayai de respirer doucement et de ne faire aucun bruit. De son côté, Léandre, ou plutôt la bête qu'il était devenu, semblait s'agiter de plus en plus. Les bruits qui m'étaient parvenus évoquaient une transformation douloureuse. À présent, le faë semblait immobile.

Il hume l'air.

Je découvris Ubis perché à deux mètres environ, sur le branchage d'un autre chêne.

Il flaire quelque chose, poursuivit mon familier. Toi ou bien les chevaux.

Je me mis à prier et supplier une entité en laquelle je ne croyais pas vraiment. Si Léandre attaquait nos chevaux sous sa forme animale, quelle qu'elle soit, je ne donnais pas cher des pauvres bêtes. De mon côté, j'avais au moins l'avantage d'être en sécurité en hauteur.

À quoi ressemble-t-il ? demandai-je en pensée à Ubis.

Il possède l'apparence d'un loup, mais ce n'est pas le cas de tous les faës. J'en ai vu d'autres dans les environs. Certains ressemblent à des ours, d'autres à des énormes lynx, d'autres encore sont monstrueux. Des hybrides. J'en ai vu un avec des pattes difformes et des griffes aussi longues que des lames.

Je ne pus retenir un frisson. Si comme me l'avait expliqué Léandre, ces faës à l'état de bêtes n'étaient plus rien d'autres que des prédateurs après leur transformation, savoir que de tels monstres rodaient alentours me glaçait les sangs.

Et ce n'est qu'un échantillon, renchérit Ubis. Il y a probablement pire encore que celles que j'ai vues.

Merci de me rassurer, ironisai-je. Tu es si attentionné.

Je m'abîmai dans le silence et me concentrai sur le moment présent. Un curieux grattement se répétait près du fiacre. Ne pas savoir ce que faisait Léandre, ou plutôt son loup, m'angoissait. Ma gorge et ma langue étaient desséchées, mes entrailles me faisaient l'effet d'un sac rempli de cailloux.

Tu peux aller voir ce qu'il fait ? enjoignis-je mon familier.

Ubis ne rechigna pas et s'éloigna en sautillant de branches en branches. Il appréhendait mes sentiments et mes émotions par notre lien. Il savait que j'avais peur.

Notre magie ne nous laissait pas sans défense, seulement je répugnai à l'utiliser sur des êtres qui perdaient toute conscience de leurs actes à cause d'une malédiction. Autrement dit, j'avais beau abhorrer la plupart des faës, la perspective d'en tuer un, ou plusieurs, sous leur forme maudite, me faisait horreur.

Il se débat pour essayer de se libérer, m'apprit Ubis.

— Et c'est en bonne voie à ton avis ? chuchotai-je.

Corbeaux et malédictionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant