Chapitre 10

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Léandre me dévisagea quelques secondes avant de me répondre :

— Eh bien, je ne sais pas moi ! Un chat par exemple ! Ou peut-être un crapaud !

Je levai les yeux au ciel, exaspérée.

— Quelle originalité ! Vraiment ! Vous pensez que je devrai avoir mon propre balai aussi probablement ? Pour voler dans les airs à la nuit tombée, dis-je en mimant des doigts crochus.

Je lui adressai une grimace démoniaque. Il renifla d'un air pincé, comme si je l'avais profondément heurté.

— Vous avez lu trop de contes, cher Léandre, tranchai-je.

Le faë, toujours dans son plus simple appareil, gratifia Ubis d'un coup d'œil méfiant avant de faire volte-face.

— Je vais me laver, bougonna-t-il en s'éloignant.

Il ne serait pas un peu soupe au lait ?

— Mon familier vous trouve susceptible et je suis assez d'accord avec lui, m'écriai-je à l'attention du faë.

Mes yeux dégringolèrent de ses robustes épaules vers ses fesses musclées et rebondies. Les premiers rayons du soleil jouaient dans les mèches auburn de ses cheveux. Au moment même où je me sermonnai intérieurement face à mon attitude de voyeuse, Léandre jeta un coup d'œil dans ma direction.

— Vous voulez bien arrêter de me reluquer ? s'indigna-t-il.

— Désolée ! m'écrai-je. Je... C'était inapproprié ! Pardonnez-moi !

Honteuse, je me détournai vivement et décidai de m'activer pour réunir de quoi allumer un feu.

Tu ne veux pas utiliser ta magie ? me somma Ubis, impatient.

— C'est moi qui fais tout le travail, répliquai-je, pourquoi est-ce que tu réclames la magie ?

Mon familier fit claquer son bec, signe qu'il désapprouvait ma réponse. Amusée, je puisai dans notre lien. Je sentis notre énergie crépiter au cœur de ma poitrine. Une ample vague de pouvoir balaya la ramure des arbres qui se trouvait à proximité de nous. Son impulsion, semblable au déplacement d'air qu'aurait pu causer un gigantesque battement d'aile s'insinua dans les branchages. Des craquements se firent entendre autour de nous, et une ribambelle de petit bois vint s'entasser sur les branches plus épaisses que j'avais réunies, comme si un courant d'air les avait menés jusque-là.

Je sentis Ubis frémir de satisfaction. L'utilisation de notre magie, même pour pareil tour, le rendait extatique. J'avais pris l'habitude de dissimuler certains de mes pouvoirs, par instinct de conservation, mais mon familier ne semblait jamais plus heureux et épanoui que lorsque j'en faisais usage. Ses propres émotions, drainées par mon corps, vibraient jusque dans mes os.

Une fois que Léandre fut revenu de la rivière, je m'y rendis à mon tour pour me laver. Nous prîmes un petit déjeuner rapide avant de poursuivre notre périple. Pour ce que j'en percevais depuis la route, le territoire de la cour de printemps se distinguait par ses champs aux couleurs extraordinaires, à perte de vue, ses plaines et ses collines verdoyantes et son ciel bleu, ponctué çà et là de nuages cotonneux d'un blanc pur. Je m'absorbai dans la contemplation du paysage depuis un bon moment quand le faë rompit ma quiétude.

— C'est avec votre familier que je vous ai entendu parler ce matin ?

— Evidemment, répondis-je du tac au tac. Avec qui voulez-vous que ce soit ? Il n'y avait personne d'autre que nous dans ces bois.

Comme pour confirmer mes dires, Ubis nous survola en croassant et se posa sur une branche sous laquelle notre fiacre allait passer.

— Vous n'avez vu aucun de mes congénères cette nuit ? poursuivit Léandre.

Corbeaux et malédictionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant