3 - L'HÔPITAL (PARTIE 2)

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Silke sort à peine de l'hôpital lorsque je reviens avec les cafés. Je lui tends son cappucino et grimace lorsqu'elle plonge le nez dans la mousse. Je ne comprendrai jamais comment quelqu'un peut boire une boisson constituée de plus de sucre et de lait que de café.

— Merci, Elisabeth.

— Je t'en prie. Tu as dit que tu avais été appelée aux urgences cette nuit ?

Son regard se voile un instant. J'entre dans un terrain miné, mais je parierai cher que cette urgence s'appelle Charlotte Schaap.

— Si cela concerne une légende, ajouté-je, je dois le savoir.

Elle joue avec l'une de ses mèches frisées, un tic qu'elle a toujours lorsqu'elle s'inquiète. Les souvenirs sont clairement douloureux, mais devant mon insistance, elle prend la parole :

— C'était une femme. On m'a dit qu'elle avait été en contact avec une légende. C'est pour cela qu'ils m'ont appelée. Au tout premier stade de la maladie, on peut essayer d'empêcher le virus de se propager avec des antiviraux. C'est expérimental, mais les effets secondaires sont toujours meilleurs que la maladie en elle-même.

— Et alors ?

— Je suis arrivé en salle d'op', pas pour voir une femme atteinte par le virus, mais une femme qu'on essayait de sauver de la mort. Une balle avait perforé son poumon. Ça a provoqué une hémorragie. Les chirurgiens ont tenté de poser un drain, mais...

Elle s'interrompt, le regard voilé par une tristesse qu'elle tâche de dissimuler.

— On a fait tout ce qu'on a pu pour la sauver, mais c'était déjà trop tard.

Le nœud dans ma gorge a repris sa place, assez serré pour m'étrangler. Je me compose du mieux que je peux une figure neutre, et une voix ferme.

— Vous savez d'où vient la balle ?

— Ils ont retrouvé la fille au Théâtre Carrée. Apparemment, une unité de la BSVL s'y trouvait. La légende aurait tiré avant qu'elle n'arrive. Tu en sais quelque chose ?

Je me ronge un ongle. S'il y a bien quelque chose que je ne peux pas reprocher à Silke, c'est bien sa curiosité. C'est celle-là qui nous a fait nous rapprocher, cette envie commune de comprendre la réapparition des légendes, et pourtant, ce matin, j'aurais bien aimé que Silke reste à distance des nouvelles.

— C'était un assepoester, soufflé-je. J'étais là-bas.

Mon barrage mental a déjà chaviré. La vague de culpabilité s'écrase contre ses murs consolidés par les anxiolytiques, mais les médicaments n'ont pas eu le temps d'agir. Une partie de l'eau s'engouffre dans mon esprit. Elle me heurte de toutes ses forces. Je serre les dents, mais les larmes me brûlent les yeux. La main de Silke saisit la mienne.

— Hé, tu n'as pas à te sentir coupable, me dit-elle. Tu n'aurais pas pu prévoir que cette légende aurait déjà amené et blessé quelqu'un dans le théâtre. Ce n'est pas de ta faute.

J'aimerais infirmer ses mots, lui dire la vérité. Je ne peux pas. Une lueur passe dans son œil, et je réalise que je ne suis pas la seule à me sentir fautive. Charlotte Schaap est morte devant elle. Pourtant, personne ne pourra jamais la blâmer. Elle s'est dévouée pour la sauver, comme elle le fait tous les jours. Silke s'est déjà rapidement essuyé les yeux. Elle a déjà vu dix fois plus de corps que moi, annonce la mort au moins une fois par jour, et elle doit tenir bon, tout comme je dois tenir bon. Si nous lâchons, cet enfer ne finira jamais. Je serre ses doigts entre les miens, et l'espace d'une seconde, j'hésite à tout lui dire. Elle détourne le regard au même instant. Notre moment de confidence se brise.

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