7 - BELLIS PERENNIS (PARTIE 1)

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— Elisabeth !

Je me retourne, une main sur la portière de ma voiture, un gobelet de café en équilibre précaire dans l'autre. Amleth est déjà arrivée près de moi, le souffle court.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Tu ne pensais tout de même pas partir seule ?

Je la dévisage sans comprendre. Bien sûr que si. Je ne vois pas pourquoi le moindre membre de la police judiciaire voudrait enquêter sur une légende, surtout sans aucune trace de virus. Quelque part, une voix me dit que c'est impossible, et que je suis sur une fausse piste. Que je poursuis cette enquête simplement pour ne pas affronter mon erreur avec Diana Schaap, de me retrouver seule loin du terrain et dans mes angoisses. Être dans la police, ç'avait toujours été ça. Se plonger dans la nuit pour fuir les cauchemars.

— J'espère que tu sais que tu viens de t'engager dans un jeu. Si tu commets une erreur, il te le fera regretter jusqu'à la fin de ta vie.

— Et si j'ai raison ?

— Ce n'est pas une question de torts ou de raisons, c'est une question de pouvoir et d'ambition.

— Je ne suis même pas sous ses ordres. Si Adam Strever m'a demandé de venir, Blondell n'a pas d'autre choix que d'obéir.

— En théorie, oui. En pratique, il lui suffit d'un coup de fil pour prouver que tu n'es pas à ta place. « Elisabeth Eikenboom ne semble pas capable de résoudre cette enquête. Mieux vaut mettre quelqu'un d'autre sur le coup. » De moins impulsif, de plus diplomate, il trouverait bien une raison. En l'espace de cinq minutes...

— Je peux être virée de l'enquête, voire de la BSVL.

Les derniers mots m'échappent. Je prends une nouvelle gorgée de café pour ne pas avoir à m'expliquer. Si cette enquête se déroule mal, ou même si je me mets Robin Blondell à dos – ce que je suis, semble-t-il, très bien partie pour faire – et qu'il commence à s'interroger sur la façon dont Elisabeth Eikenboom s'est retrouvée à Maastricht et découvre pour Diana Schaap, je signe la fin non seulement sur ma carrière, mais aussi sur mon futur.

— Il ne le fera pas, me rassure Cassandra. Pas pour l'instant, en tout cas. Il aime l'ambition, mais il sait aussi bien que moi que diviser ses effectifs avec un meurtre pareil à résoudre et une mauvaise idée, surtout que nous n'avons pas encore trouvé Ethan Devaux.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas aller aider ses effectifs ?

— Je vais y aller, dit-elle, mais j'ai d'abord quelques infos. J'ai visité l'appartement d'Owen hier soir, pendant que Robin retraçait la plaque de la Honda. Je voulais en apprendre plus sur elle. J'ai voulu... comment dire... me mettre à sa place. Devenir son miroir, en quelque sorte.

J'acquiesce, parce que je ne comprends que trop bien sa façon de penser. Se focaliser sur la victime, plutôt que sur le meurtrier. Le concept échappe pourtant à de nombreux membres de la BSVL, un changement brutal avec la police judiciaire. Les chasseurs de légendes préfèrent se lancer tête baissée dans une mission plutôt que d'essayer d'entrer dans la tête des mythes et de leurs précédentes proies. Pas étonnant : une telle façon de voir les choses requiert de passer des nuits blanches sur de vieux manuscrits, des traités de centaines de pages, et des antiquités. Une perte de sommeil et de temps précieux, pour la plupart.

— Owen faisait un Master en chimie organique, reprend Cassandra. À côté de ça, pas grand-chose. Elle aimait randonner, mais ça ne justifie pas une escapade en pleine nuit. On a interrogé les professeurs de son université, et ils nous ont juste dit que c'était une excellente élève. Elle avait cessé de suivre les cours depuis quelques mois, et avant que tu ne demandes, non, on ne sait pas pourquoi.

— Et Ethan Devaux ?

— D'après ses amies, ils auraient rompu il y a deux mois. Elle était très soulagée de cette décision. Elle recommençait enfin à sortir, à venir à l'université, à reprendre une vie normale. Ça a duré deux semaines. Juste après, elle est redevenue anxieuse, et elle est presque aussitôt revenue vers Ethan.

— Qu'en dis-tu ?

— Je ne sais pas. S'il était si horrible que cette fille le prétend, pourquoi est-ce que Isabelle serait revenu vers lui plutôt que de le fuir ? S'il lui faisait pression, pourquoi ne pas avoir prévenu la police ? Par peur ? Parce qu'elle y était contrainte ?

Cassandra pousse un soupir.

— J'ai l'impression que personne ne la connaît vraiment. Ses professeurs parlent d'elles comme d'une élève modèle, dédiée corps et âme à son travail dans la chimie et promise à un grand avenir de chercheuse. Ses amies évoquent une fille brillante, mais terrifiée, et on ne sait même pas par quoi, et j'ai l'impression...

— Oui ?

— J'ai l'impression que tout ça, ce n'est que des masques. Au fond, je me demande si la seule personne qui ne la connaissait pas vraiment, c'est Ethan Devaux.

Je prends un instant pour réfléchir, revois le corps dans la morgue, les papiers d'identité, les locaux de l'université. Encore une fois, tout semble se relier à Ethan Devaux, loin des légendes auxquelles je pensais. Même si je retournais moi-même dans l'appartement d'Isabelle, si j'interrogeais ces amis, trouverais-je quoique ce soit susceptible de m'ouvrir une nouvelle piste, si l'équipe de Robin Blondell n'en a pas trouvé ? Rien n'est moins sûr. J'enchaîne donc avec les questions :

— Isabelle avait des passe-temps ?

— La danse et la musique, d'après ses amis. Elle jouait de temps en temps pour le groupe de l'université, avant de tout arrêter lorsqu'elle s'est remise avec Devaux. Les gens se sont dit qu'il l'empêchait de jouer, mais elle n'a jamais confirmé que c'était le cas, apparemment. Pourquoi, tu as une piste ?

— Pas encore, admis-je, mais certains mythes peuvent être attirés par des chants, de la musique, des cérémonies, mais ils auraient laissé plus de traces sur le corps ou l'auraient noyé.

— Peut-être que ce n'est pas un mythe. Peut-être que Ethan Devaux a voulu nous conduire sur une fausse piste. On a perdu du temps en pensant qu'il s'agissait d'un suicide, puis en attendant les renforts de la BSVL. Il a dû en profiter pour disparaître. Qui d'autre aurait pu créer une scène de crime pareille ?

Je secoue la tête, et lui répète la même chose que j'ai dite à Robin. L'empreinte d'une légende ne peut pas s'imiter. Il me faut pourtant autre chose. Cassandra me l'offre en consultant son téléphone, un instant plus tard :

— Nous avons les résultats des analyses de pollen.

Chasseur de LégendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant