3 - L'HÔPITAL (PARTIE 1)

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L'odeur de désinfectant me brûle les narines et ravive un désagréable flot de souvenirs lorsque je franchis les portes vitrées de l'hôpital. Je roule les épaules et souffle un bon coup, pour me répéter le mantra habituel. Tout va bien se passer. Tu ne risques rien.

Un mensonge auquel j'avais si bien appris à croire qu'il était devenu naturel de sourire, de respirer calmement, de ne montrer aucun signe d'anxiété. Je salue la secrétaire d'un ton que j'espère enjoué.

— Bonjour, Lydia. Jolies lunettes. Elles sont neuves ?

Elle lève à peine le regard de son clavier, et ignore ma question.

— Elisabeth Eikenboom, vous n'avez encore une fois pas rendez-vous.

— Les membres de la BSVL n'ont pas besoin de rendez-vous, répondis-je comme à chaque fois, mon badge entre les doigts.

— Évidemment, grince-t-elle entre ses dents. Ah, la BSVL et ses avantages ! À quoi vous servent ces privilèges ? Nos hôpitaux sont encore pleins à craquer, on fait plus d'heures que jamais et quand on ne travaille pas, on est terrés chez nous ! Alors à quoi bon ?

Elle est de bonne humeur. D'ordinaire, la liste serait suivie de répliques cinglantes. Le taux de légendes n'a pas diminué d'un pouce depuis la mise en place de la BSVL, deux ans plus tôt. Malgré le relâchement des mesures préventives du gouvernement, la situation stagne. Au point que certains s'offusquent de voir disparaître leurs impôts dans une brigade qu'ils jugent inutile. Je serre les dents. Il y a aussi tous les autres. Je n'abandonnerai pas ma mission pour quelques sceptiques – pas alors que je peux encore empêcher des gamins de grandir à l'abri, et avec leurs parents, sans contamination de légendes.

— En tout cas, reprend Lydia, rendez-vous ou pas, il n'y a personne de disponible pour vous. Silke Frank m'a bien dit que vous risquiez de passer ce matin, mais elle vient de finir sa garde de nuit. Je doute franchement qu'elle ait du temps à vous consacrer. Troisième étage, à votre gauche.

— Merci !

Les couloirs bouillonnent de monde. À sept heures, le personnel de garde de nuit quitte les lieux. Celui de jour commence son service. Seulement, à cause du sous-effectif de l'équipe, l'agitation a doublé. Elle atteint son paroxysme lorsque je parviens au troisième palier : l'étage réservé aux patients atteints du virus de la magie. Un nœud se serre aussitôt dans ma gorge. Je souffle un bon coup pour l'assouplir, et parcours le corridor. Chaque visite hospitalière devrait être un peu plus facile à supporter, surtout après deux ans, mais aujourd'hui, je suis incapable de me calmer. La nuit a brisé mon bouclier mental en mille morceaux. J'aurais dû me douter que Diana Schaap utiliserait l'otage comme bouclier. J'aurais dû savoir que mes questions resteraient sans réponse face à un mythe. Avec l'attente et la fatigue, mes interrogations se prolongent. Le bal des médecins et des infirmiers n'arrange rien. Ai-je tué la mère d'un enfant ? La fille d'un couple aimant ? Je me revois deux ans plus tôt, dans ce même couloir, alors qu'un médecin m'annonce que je dois faire mes adieux à mes parents avant que le virus ne s'empare d'eux au point de leur faire perdre la mémoire. C'était sans doute pour le mieux, mais le souvenir des corps abîmés par la maladie et des regards éteints restera à jamais gravé sur ma rétine. Peut-être était-ce mieux, d'un côté, que Charlotte Schaap ne subisse pas le même sort...

L'ongle sous mes dents casse à cette pensée. Je m'étais promis de rester calme et me voilà à ruminer. Il me faut des anxiolytiques. Je fouille la poche de mon blouson. Évidemment, je n'en ai aucun. Mon regard se pose sur le bureau de soins, au bout du couloir. Les médicaments que je cherche se trouvent là-dedans, derrière une grille et un personnel médical trop scrupuleux pour que je puisse l'atteindre.

Chasseur de LégendesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant