Je me glisse sous les cordons et me fraye un chemin entre les taillis. Les branches m'égratignent les mains lorsque j'émerge de l'autre côté des bosquets. Les dernières feuilles mortes crissent sous mes bottes. Même s'il fait encore jour, une demi-obscurité brumeuse nimbe les bois. Un présumé suicide, avait dit Erik. Je me force à ne pas garder la main sur mon arme. Mes forêts habituelles sont faites de maisons, de canaux et d'immeubles. Je n'aime pas être entourée d'arbres et de taillis. N'importe quoi peut s'y cacher.
Une lueur perce à travers les bois. J'accélère le pas pour découvrir une large clairière. Un immense arbre trône au centre. Ses branches déchirent le brouillard. J'avance d'un pas pour mesurer sa hauteur lorsque l'inconcevable me frappe. Ça n'a aucun sens, mais l'air sent la mousse – symbole de courage –, l'écorce et les feuilles mortes – le regret – et la résine – l'immortalité. L'impression ne dure qu'une seconde, mais j'ai déjà saisi ces trois mots, ces trois sentiments fugaces. L'empreinte de la magie laissée par le meurtrier. Elle endort mes sens, ne laissant qu'un goût doux-amer sur ma langue, un murmure dans mes oreilles et une flamme dans ma poitrine. Je perçois le pas sur les feuilles mortes trop tard.
— On ne bouge plus ! Vous êtes sur une scène de crime.
Mues par l'instinct, mes doigts se referment sur mon Walter P99. Je me tourne d'un bond, le regard fixé sur les yeux de mon adversaire. Deux pupilles brun clair me renvoient ma méfiance, bien loin de la couleur cendrée couvert d'un voile opaque des mythes. Je m'autorise enfin à relâcher le métal froid de mon arme et à saisir mon badge.
— C'est bon, je suis dans l'équipe, dis-je.
Vêtue de l'uniforme bleu de la police municipale, l'inconnue abaisse son pistolet devant mon insigne de la BSVL. Son regard ne perd pourtant pas de son mordant. Je jette un coup d'œil au couvert des arbres, mais n'aperçois personne. Étrange. Les épaulettes de son uniforme portent la couronne dorée des inspecteurs. Elle devrait être entourée d'une équipe, pas seule. Je la rejoins en quelques pas.
— Vous faites partie de l'enquête ?
— Félicitations, Sherlock Holmes ! raille-t-elle. D'autres questions ?
— Oui. Ça vous arrive souvent de menacer les gens avec une arme ?
Un sourire illumine son visage. Elle range enfin son pistolet – un Walther P99 comme le mien, l'arme fétiche de la police municipale auquel les membres de la BSVL ont préféré un Glock 17M, plus fiable et robuste, lorsqu'ils ne carburent pas aux armes bien plus lourdes.
— Vous savez, c'est moi qui devrais poser les questions, mais une inconnue avec l'audace de foncer sur une scène de crime sans prévenir personne, de ne pas ciller devant une arme, et de poser autant de questions ne peut être qu'Elisabeth Eikenboom.
— Vous me flattez. Je ne pensais pas être si connue.
— Vous ne l'êtes pas, mais le commissaire Blondell a bien dit à tout le monde à quel point il était ravi que la BSVL lui envoie la meilleure de ses membres pour un crime produit il y a moins de vingt-quatre heures. Il a raison, nous devrions être flattés. Non, honorés, même.
— Vous êtes sarcastique, inspectrice... ?
— Amleth. Cassandra Amleth. Vous ne le seriez pas, à ma place ? Il n'a même pas encore eu d'autopsie !
— Et comment se fait-il qu'un crime d'une telle importance n'ait même pas encore bénéficié d'une autopsie ?
Elle plisse les yeux, surprise de ma question. Elle s'arrête un instant pour me détailler, et son regard clair me donne l'impression d'être à nue. Un malaise me tort le ventre à l'idée d'avoir posé une mauvaise question, d'avoir oublié un élément important que m'a donné Erik ce matin. Il se dissipe sous la réponse de l'inspectrice Amleth. Ma question semble l'avoir convaincue de me laisser entrer sur la scène de crime.
— Tout laissait présumer qu'il s'agissait d'un suicide. Venez voir.
Elle s'avance dans la clairière, droit vers le grand arbre. Un chêne, reconnus-je à ses feuilles lobées. D'un geste, l'inspectrice Amleth me désigne une branche robuste, à cinq mètres de hauteur, assez épaisse pour supporter le poids de plusieurs hommes.
— La troisième branche en partant du bas, vous voyez ? La victime était pendue là-haut. Aucune trace de lutte ou de coups, seulement les marques de strangulation de la corde. C'est pour ça que le premier examen du corps nous a fait conclure à un suicide. C'est très fréquent depuis l'invasion de magie, même si vous n'en voyez pas beaucoup dans la BSVL.
— J'ai bossé pour la police municipale avant de rejoindre les forces spéciales, répliqué-je, sentant l'insulte sous les mots.
— Bon, alors vous voyez de quoi je parle.
Je m'approche de l'arbre qu'elle m'a désigné. La première branche se trouve à bien deux mètres du sol, mais l'arbre présente de nombreuses prises. N'importe qui parviendrait à y grimper seule, puis à atteindre les branches plus hautes. Pourtant, il ne pouvait pas s'agir d'un suicide. Pas avec l'empreinte de magie. Je me tourne vers l'inspectrice Amleth, qui reprend :
— Le suicide aurait dû être classé ce matin, mais le commissaire Blondell et moi avons procédé à un deuxième examen du corps. C'est là qu'on a pu autoriser l'autopsie.
— Qu'est-ce qui vous a fait croire qu'il ne s'agissait pas d'un suicide ? demandé-je.
— Les fleurs.
— Pardon ?
— Je vous l'ai dit. En temps normal, l'affaire serait déjà classée et vous ne seriez même pas là, mais il y avait quelque chose de différent avec ce suicide. Les cheveux de la victime étaient tressés de fleurs jaunes et blanches, et la façon dont elle se trouvait dans l'arbre... je ne sais pas comment l'expliquer, mais il y avait quelque chose de cérémoniel. Il se trouve que j'ai vu juste, ajoute-t-elle avec un sourire.
— Venez-en aux faits. Que vous a révélé le second examen du corps ?
— Ça, inspectrice, vous le découvrirez par vous-même en voyant le corps, si vous êtes aussi douée qu'on le prétend !
VOUS LISEZ
Chasseur de Légendes
FantasyVous rêvez que la magie existe ? Elisabeth Eikenboom, elle, n'aurait jamais voulu qu'elle mette les pieds dans sa vie. Inspectrice de la BSVL, la Brigade Spéciale des Légendes chargée de traquer et de tuer les réapparitions des mythes pour empêcher...