chapitre 2

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Kalhne avançait à grandes enjambées à travers le champ. Le vent faisait danser ses cheveux noirs, lui gênant par moments la vue. D’un geste rapide, elle les réajusta, soudain consciente de son allure. Cette pensée la surprit. Pourquoi se préoccupait-elle tout à coup de son apparence ? Était-ce à cause de ce garçon ? Elle leva les yeux au ciel, un peu pour se moquer d’elle-même.

Le soleil faisait une timide apparition, et Kalhne remarqua que les fleurs commençaient à éclore, délicatement. De petites marguerites s’ouvraient sur son chemin, marquant l’avènement du printemps. Au bout de ce sentier de pétales, Diallo l’attendait, agenouillé au pied d’un arbre. Kalhne fronça les sourcils, serrant un peu plus fort la boîte de sablés qu’elle tenait entre ses mains. Elle en avait fait beaucoup, bien plus que nécessaire. La cuisine lui avait permis de se changer les idées, d’oublier quelques instants que son frère n’avait pas reparu. C’était bien la première fois qu’il restait introuvable aussi longtemps.

En s’approchant, Kalhne vit Diallo prier, les mains ouvertes sur ses genoux, les yeux fermés, ses cheveux noirs aussi agités que les siens sous la brise. Elle n’osa pas le déranger, restant immobile, attentive au moment suspendu. Elle n’avait jamais prié. Ou peut-être un peu, enfant, quand son père était parti pour le ciel. Mais à qui adresser ses vœux ? Cela n’avait jamais semblé naturel de les confier à une entité invisible.

Les jeunes de son âge ne priaient guère, du moins elle n’en connaissait aucun. La ferveur paisible de Diallo l’intriguait. Sans trop savoir pourquoi, elle ferma les yeux elle aussi, espérant, elle aussi, que son frère revienne bientôt. Bien sûr, il avait droit de partir, elle s’en persuadait. Mais ses récentes tendances alcooliques faisaient naître en elle une inquiétude qu’elle peinait à apaiser.

— Tu pries aussi ?

Kalhne sursauta, rouvrant les yeux. Diallo l’observait, un sourire en coin.

— Non, pas vraiment… je ne crois en personne, répondit-elle, un peu décontenancée.

Sans un mot, Diallo s’installa à côté d’elle et saisit un sablé dans la boîte sans lui demander la permission.

— Pas besoin de croire en quelqu’un pour prier, répliqua-t-il en examinant le biscuit.

Elle le dévisagea, un peu perplexe.

— Alors, comment être sûr que quelqu’un nous écoute ? demanda-t-elle enfin.

Diallo s’allongea dans l’herbe, bras croisés derrière la tête.

— Nous ne sommes jamais seuls, murmura-t-il. Si les murs ont des oreilles, les plantes, la terre et les nuages écoutent aussi.

Il la regarda d’un air espiègle, l’œil pétillant.

— Je soupçonne même les animaux de nous épier, ajouta-t-il. Surtout les scarabées… ils sont suspects.

Kalhne éclata de rire et manqua de faire tomber la boîte de sablés.

— Attention ! Ils sont trop bons pour finir dans la terre, fit Diallo en rattrapant la boîte avec une agilité surprenante. Merci pour les gâteaux, mais je dois y aller. Salut !

Il se leva d’un bond, déjà prêt à partir, et s’éloigna à travers les herbes hautes. Kalhne fronça les sourcils. Déjà ? Leur conversation commençait à l’intéresser. Elle se redressa et lui lança, sur un ton faussement outré :

— Attends, je n’en ai même pas goûté un seul !

Sans se retourner, Diallo accéléra, se mettant à courir en cercle autour d’elle. Kalhne s’élança à sa poursuite, sautant par-dessus les amas de terre, le souffle court. Enfin, d’un ultime élan, elle bondit pour le rattraper, et ils tombèrent tous deux sur l’herbe, riant aux éclats. Mais les biscuits, eux, s’envolèrent et retombèrent directement sur le sol.

Elle soupira, exaspérée, en voyant sa précieuse boîte vide au milieu d’une fourmilière déjà en effervescence. Ce garçon était un grand enfant un peu… imprévisible. Pourtant, il lui semblait familier, presque rassurant, malgré son côté insaisissable.

— Les scarabées ont de la concurrence, murmura-t-elle, un sourire au coin des lèvres. Les fourmis, elles, sont opportunistes.

Diallo resta silencieux un moment, puis, calmement, il retourna à l’endroit où il priait et s’assit à nouveau. Contre toute attente, il n’était pas vraiment parti. Kalhne s’assit près de lui, l’observant en silence.

— Tu as prié pour quelque chose tout à l’heure ? finit par lui demander Diallo.

Kalhne traça des motifs abstraits dans la terre.

— Mon frère a disparu. Il… il a commencé à boire, et depuis deux semaines, il a changé, on ne le reconnaît plus. On finissait toujours par le retrouver, mais là… rien depuis hier.

Diallo posa doucement une main sur la sienne.

— Demande à l’oiseau, ou à l’arbre. Peut-être qu’ils auront vu quelque chose ?

Cette suggestion la laissa perplexe. Sa voix était douce, mais Kalhne n’avait pas envie de plaisanter. Elle secoua la tête, incrédule. Diallo insista, la regardant dans les yeux, un air de conviction étrange.

— Je suis sérieux, Kalhne.

Son regard suppliant la fit céder. Elle hésita, mais finit par l’imiter, joignant ses mains comme lui.

— Ça va être long ? demanda-t-elle en jetant un regard prudent au pentacle qu’il dessinait dans la terre.

— Pars si tu veux, répondit-il calmement. Mais n’aie pas peur. Formuler un vœu, c’est aussi naturel que respirer.

Elle le fixa, un brin déstabilisée. Pourquoi lui faisait-elle confiance ? Fermant les yeux, elle se concentra. Si les arbres avaient entendu quelque chose, si les fourmis avaient des réponses…

Elle sentit la main de Diallo serrer un peu plus fort la sienne.

— Donnez-nous des réponses sur Dan, murmura-t-il d’une voix grave.

Le vent souffla plus fort, comme un murmure d’échos tout autour d’eux. Soudain, un papillon descendit lentement du ciel, tournoyant avant de se poser près d’eux. Kalhne la suivit du regard, jusqu’à ce qu’elle se perde dans la lumière du soleil encore bas.

Diallo la dévisageait intensément, sans lâcher sa main.

— Ton frère reviendra à la prochaine éclipse, déclara-t-il d’un ton assuré.

Kalhne ouvrit les yeux, le cœur battant. Comment pouvait-il savoir ?

— La prochaine éclipse… c’est la fin de l’hiver, l’année prochaine. Au moins, ce n’est pas dans cinquante ans ! plaisanta-t-elle, un sourire hésitant.

— Tu as raison. J’ai déjà connu quelqu’un qui a attendu dix ans pour revoir sa femme, chuchota Diallo, pensif.

Kalhne frissonna, tentant de lire dans le regard du garçon. Il sortit un livre relié de cuir de son sac et le lui tendit.

— Lis-le. Ça t’aidera à patienter.

Et sans un mot de plus, Diallo se leva, lui adressant un dernier signe de main avant de disparaître entre les arbres.

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