Dealers Wicked Tome1 : Isham

Parle-moi de toi

Malo

Le vent souffle une bourrasque quand l’oncle Sam referme le barbecue. Nous avons décidé de manger dehors, comme il fait bon aujourd’hui, pas assez pour se mettre en maillot, mais assez pour rester à l’extérieur avec un fin pull. Je lui sers de la salade de pommes de terre alors qu’il amène le plateau chargé de viandes.

- Dis-moi que t’es pas une de ces nanas qui mange pas de viandes…
-Je suis une vraie carnivore, souris-je.

Il s’assied face à moi et pour la première fois, je le trouve plus détendu que jamais. Le premier soir, il ne m’a que très peu parlé. Et je le comprends. Hier, alors que je rentrais de mon service, il m’a à peine calculée. Il a fait de nombreux allers retours entre la cuisine et la cave, un carnet à la main, un crayon derrière l’oreille, l’air soucieux sur le visage.

J’en ai profité pour visiter la maison, pour découvrir les photos de sa femme devenue ex, Cassy, celles de ses deux fils. J’ai ressenti un pincement au cœur pour mon oncle. S’il essaie de faire face en jouant à l’insensible, j’ai bien vu qu’il n’en menait pas large puisque tous les soirs, il boit jusqu’à s’endormir dans son vieux fauteuil.

J’ai d’ailleurs été étonnée, voire contente quand il est revenu des sacs pleins de courses, qu’il a affirmé qu’on allait passer une bonne petite soirée ensemble. C’est dur pour moi de le voir en chef de gang, ou en nurse comme il le dit. Il a l’air si paumé… Si gentil aussi.

- Pourquoi mon père est parti d’ici ? demandé je.

Il relève les yeux de son assiette, avale ce qu’il avait en bouche, attrape sa bière et en boit une grosse gorgée.

- T’as vu la vie d’ici ?
Je hoche la tête. Justement. Ce que je vois ne m’ effraie pas encore au point de vouloir fuir à toutes jambes. Isham et ses potes font peur au premier abord, mais il ne m’a pas mangé, et même si son cinéma de la veille m’a gonflée, je ne l’ai pas trouvé désagréable quand il m’a ramenée ici.

-Ta mère ne voulait pas t’élever dans ce quartier.
- Mais pourquoi il n’est pas revenu après ? Il était seul pour m’élever…
-Parce que ton père savait que certains allaient lui péter les rotules, gamine.

Mon oncle toussote, se redresse un peu, comme pour reprendre une contenance, et croise ses bras sur la table alors que je repose mes couverts.

- Quand tu pars d’ici, les poches pleines de thunes, c’est que tu dois du fric à quelqu’un. Ton père devait près de dix barres aux Wicked lorsqu’il est parti. J’ai dû les rembourser pour lui et c’est pour ça qu’on s’est pris la tête. Je voulais qu’il me rende mon pognon, sauf que lui assurait qu’il ne me devait rien. Mais comment voulais tu que je vive ici en devant de l’argent plus haut ?

- En fuyant ?
Ma réponse le fait rire.

- On ne fuit jamais les problèmes, Malo. On les affronte, on les règle, et c’est fini, sinon, ils te poursuivent jusqu’à ce que t’en crèves.

Et je devine que toutes ces emmerdes font partie de ce qui pesait tant sur les épaules de mon père. A-t-il reçu des menaces ? A-t-il eu peur ? Ou bien l’a-t-on tué en maquillant ça en suicide ?

- Et ta femme ?demandé je pour changer de sujet.

Il déglutit, reprend sa fourchette et joue dans son assiette. Je crois que je lui coupe l’appétit, qu’il n’a aucune envie d’aborder le sujet mais j’ai envie de savoir l’histoire de ma famille, celle de mon oncle. J’ai besoin de comprendre mon nouvel univers.

- Elle s’est tirée avec un autre. Je crois qu’il y a rien à ajouter.
- Mais et tes enfants ? Tu vas encore les voir ?

Il jette violemment la fourchette dans son assiette, et je m’excuse. Ma curiosité est grande, mais je dois aussi comprendre qu’il n’ait pas forcément envie de parler de tout ça.

- C’est rien, tracasse, souffle-t-il. Et toi ? Il se passe quoi avec Isham ?

Je relève directement les yeux.
-Absolument rien pourquoi ?

Mon oncle se marre, donc je lui explique le bordel que son « ami » a fait au magasin, mais je me tais pour l’histoire du sac.

- Isham n’est pas un gars pour toi, Malo.
-Je n’ai jamais pensé à sortir avec lui !
- Ok mais je te le dis quand même. Il a l’air gentil mais il ne l’est pas. Je lui fais confiance quant à ta sécurité parce que ça me permet de le tenir à l’œil. En lui donnant ce rôle, je peux être sûr qu’il se tienne bien avec toi ou sinon ça aurait été tout l’inverse.
- Ah…

Je ne sais pas quoi penser de ces informations. Donc si je comprends bien, l’oncle Sam a enrôlé Isham comme « garde du corps » juste pour qu’il se tienne à carreau avec moi ? Je suis déçue. Pas de savoir que Sam ait pensé de la sorte, mais du fait qu’Isham se comporterait bien différemment avec moi s’il ne l’avait pas fait. J’accuse le coup, mais je fais face.

- De toute façon, ce gars ne m’intéresse pas, affirmé je. Je ne compte pas tisser de liens avec les gens d’ici puisque je ne reste qu’une année.

Il acquiesce, baisse les yeux et attrape sa bouteille pour en boire une gorgée.
- Ouais, bien vite que tu t’casses d’ici.

Le restant du repas se déroule dans le calme. Tous les deux, nous parlons de mon père. L’oncle Sam me pose des questions sur le père qu’il était, et moi je lui en pose sur le frère. Je ris quand il me raconte leurs bêtises d’enfant qui faisaient enrager leur mère. Je rigole quand il me parle de mon père et des filles qu’il draguait en pensant être un don Juan. Je finis par pleurer parce qu’il me manque énormément. Je voudrais tant qu’il soit présent, qu’il soit là, ce soir, à regarder le coucher du soleil avec nous, qu’il participe lui aussi à cette conversation. Quand je finis par calmer cette crise de larmes, je suis seule dans le jardin, et mon téléphone resté dans mon sac me rappelle à l’ordre en sonnant.

Je désactive l’alarme, m’étrangle à moitié en voyant mon fond d’écran.

Je m’assure que mon oncle ne soit pas là alors que la photo d’Isham s’affiche sur mon téléphone. C’est lui, en torse nu, allongé dans son lit.

Mes joues surchauffent quand je clique sur ma galerie, sur la photo et que je zoome. Il a bien les yeux noirs. Aussi noirs que le ciel de ce soir. Je descends mes yeux sur son torse tatoué de différentes écritures, avale ma salive.

Merde, il est carrément bien foutu. Je regarde le lit autour de lui. Les draps ont l’air propres, et sur la table de chevet, il n’y a qu’un réveil et son téléphone.

Je fais défiler les photos de ma galerie, retrouve celle de Jeff et moi, la remets en fond d’écran. Je vérifie s’il n’a rien publié sur mes réseaux ou dans mes messageries. Et comme ce n’est pas le cas, j’inspire, je ris doucement.
Ce type est cinglé. Si mon oncle pensait l’avoir à l’œil, il se trompait. Isham est étonnant.

Déjà, si j’en crois ce qu’il dit, sa connerie de la veille n’était qu’une aide pour que je sois embauchée, ensuite, il me pique mon téléphone pour changer mon fond d’écran et il me le ramène gentiment tout à l’heure, sans que je n’ai à lui demander.
Je vérifie mon journal d’appel, vois son nom apparaître. Mon cœur galope dans ma poitrine. Je regarde si je suis encore seule, lui écris « jolie photo, merci ».

Deux secondes plus tard, je vois qu’il lit le message, qu’il répond. Je cesse de respirer, attendant impatiemment sa réponse.
«  Fais-moi la même, besoin d’un nouveau fond d’écran ».

Il rêve !
« si t’es sage, un jour ».
Je range mon portable, attrape mon sac et me décide de bouger.

-Je vais être en retard si je ne me dépêche pas.

Je finis de ranger la vaisselle quand l’oncle Sam remonte plusieurs sacs noirs de la cave. J’essaie de faire comme si je ne voyais rien, mais c’est compliqué. Je sais qu’il s’agit soit d’argent, soit de drogues. Sam les dépose dans un coin de la cuisine, tire une chaise et s’assied, une cigarette aux lèvres.

-Allez file, mes gars vont arriver. On a une réunion. Prends ça.

Il me tend les clés de sa Jeep.
L’oncle Sam ne me connait que depuis trois jours et il me fait assez confiance pour que je prenne sa voiture ? Mes sourcils se froncent.

- Elle a un système de traçage, donc ne me la joue pas à l’envers, clair ?
Je les attrape, souris.

- Il me semblait bien que c’était étrange cette confiance soudaine.

Il rit, me dit « sois prudente gamine » et je décampe avant que les mecs du gang débarquent ici.