Malo
Je ralentis ma course lorsque j’arrive dans la rue de l’oncle Sam. J’avais besoin de courir, d’évacuer cette tension qui me malmenait depuis la veille. J’ai beau me repasser en boucle le film de la soirée, rien ne peut être changé. J’aurais dû refuser quand JK m’a proposé de me présenter aux autres, j’aurais dû me douter qu’Isham n’est pas le même homme quand il est avec son groupe. Je serais rentré chez Sam, et j’aurais passé ma nuit le nez dans un bouquin.
Je soupire, jette un œil sur mon portable, accroché à mon bras. J’ai couru une bonne heure, quatre kilomètres. Ce n’est pas énorme, mais étant donné le périmètre dans lequel j’ai le droit de me rendre, c’est pas mal. Je m’arrête net quand je remarque la voiture du métis, garée devant la maison.
Mon cœur s’emballe, la peur me noue immédiatement le ventre, l’angoisse me coupe le souffle. Je ne veux pas le voir. Pas aujourd’hui, pas demain, plus jamais.
Il est mauvais, il est con, il est trop sûr de lui.
Mais alors que je m’apprête à faire demi-tour, par la vitre côté conducteur, il sort son bras, me fait un signe de venir. Je ravale la bile qui me monte à la gorge, regarde autour de moi, inspire et m’avance. Je retire l’écouteur d’une de mes oreilles quand j’arrive à sa hauteur, la mine tirée.
Le regard du gangster se pose sur mon ventre dénudé, remonte sur ma poitrine avant de fixer le mien. J’en frissonne, même si je hais que son regard me réchauffe de l’intérieur.
- Grouille-toi, j’ai pas que ça à faire.
Je ne lui demande même pas de quoi il parle, je lui réponds de mon majeur, passe devant se voiture, remonte l’allée de la maison. En poussant la porte, je suis surprise par le gros désordre qui se trouve dans le salon. Le canapé est retourné sur le sol, la table basse poussée contre le mur du fond. Des vieux bibelots sont entassés dans des caisses et plusieurs sacs poubelle jonchent le sol.
- Salut !
L’oncle Sam apparait, le sourire aux lèvres, la transpiration qui lui coule du front.
- J’ai décidé de faire un grand ménage ! Pendant ce temps-là, je te confie la mission de la déco. Tu vas y aller avec Isham…
- Je t’avais dit non !
Je m’énerve. Il est hors de question que je passe du temps avec cette brute !
- Malo, s’il te plait, insiste Sam en levant ses mains vers moi, je le paie mille dollars pour faire ça et si vraiment tu ne le supportes pas, tu l’ignores ! Je ne te demande pas d’être amie avec ce merdeux, je veux simplement que tu achètes de la déco pour enfin te sentir chez toi et je ne prendrais pas le risque de te laisser y aller seule. C’est non-négociable.
Je me renfrogne, éteins la musique qui continuait à jouer dans mes oreilles. Mille dollars ? Rien que ça ?! Je savais que j’étais pénible pour lui, mais quand-même !
- Je n’ai pas besoin de protection.
Il grimace, et j’abdique. Ok, je n’ai rien dit. Après tout je ne connais rien de leur gang, ni des histoires qu’ils ont.
- S’il me gonfle, je le ferai attendre dans sa bagnole.
Sam sourit, opine du chef.
- Ok.
- Donne-lui l’ordre de ne pas me parler, tant que t’y es, j’ai besoin de calme.
Je l’entends rire alors que je monte les marches. On dirait que je ne vais pas avoir le choix de me le coltiner pour la journée. Et pourtant, je n’en ai aucune envie. Pourquoi l’oncle Sam n’a pas demandé à JK, ou à Kinsha ? Elle est aussi barge que les mecs de ce gang, donc je ne pense pas que je risquerais quelque-chose avec elle.Je file sous la douche, prenant tout mon temps, histoire de faire enrager le gangster.
« je n’ai pas que ça à faire ». Connard.
Il va se faire une blinde d’argent juste pour me gonfler de sa présence, alors il peut bien attendre.
Après avoir pris une longue douche, j’enfile un débardeur noir, un jeans, et ma paire de baskets. J’attache mes cheveux dans une queue de cheval, me maquille les yeux, attrape mon sac et descends.
- Sois prudente, crie Sam de la cuisine.
J’ai envie de lui répondre que je dois plus me méfier de son acolyte, pas des autres, mais je me tais, et sors.
*
- Pas trop tôt !
Je grimpe dans la voiture, le cœur lourd, l’envie de shopping dans les chaussettes. Je ne lui réponds pas, je me contente d’ouvrir la fenêtre pour ne pas respirer son odeur, et j’évite son regard dans le rétroviseur central.
- Je suis pas taxi, tu montes à l’avant.
- Démarre ou tu peux te brosser pour toucher un seul dollar.
Je ne le regarde pas mais je l’entends inspirer et c’est brusquement que le métis démarre. Je ne sais pas où il va m’emmener, et je m’en fiche, même si j’ai conscience que je devrais jouer le jeu pour Sam. Mon oncle a eu l’air de se décomposer quand je lui ai parlé de mon envie de rentrer. Et pourtant, je ne pense pas qu’un simple changement de déco me fasse changer d’avis.
- Tu ne lui as rien dit, pourquoi ?
Je sens mon corps se crisper sur la banquette arrière. Je n’ai pas envie d’entendre sa voix, ni même qu’il se pose des questions à mon sujet.
- Il t’aurait tué.
Isham éclate de rire derrière son volant et d’un coup, je me sens bête. Est-ce que je suis si désaxée que ça ? Je lui jette un coup d’œil rapide dans le rétro, croise son regard redevenu sérieux et détourne la tête. Nous n’échangeons plus durant le reste du trajet jusqu’à ce qu’il s’arrête sur un parking d’un énorme magasin.
J’observe les lieux par la vitre tandis que le gangster s’allume un joint dont l’odeur me fait grimacer. Dehors, ça grouille de monde. Je n’ai pas envie de sortir de la voiture, je ne sais même pas quoi acheter en plus !
- Je t’attends ou t’as besoin d’un chaperon ?
Je déglutis, j’ai envie de le supplier de venir avec moi, mais j’ai aussi l’envie irrémédiable de l’envoyer balader.
- Tu te décides ?!
Son ton abrupt me convainc de le laisser moisir dans sa caisse.
Je sors, claque la portière derrière moi et file vers le magasin sans lui adresser le moindre regard.
Si je ne savais pas quoi prendre en arrivant, je me suis vite rendue compte qu’il fallait que je calme mes ardeurs. Le charriot est rempli d’oreillers, de bougies, de plumes de pampa, de bibelots en bois, de plaids. J’ai même mis le grappin sur des étagères murales pour les quelques livres que j’ai embarqués avec moi. Je commence tout juste à me détendre lorsque j’arrive à la caisse.
Quand j’arrive sur le parking, j’aperçois Isham, dehors de sa voiture, en train de se marrer avec deux types, et une femme. Je reste à l’écart un instant, l’observe de loin. Il paraît à l’aise, sympathique avec son grand sourire. Pourquoi il est comme ça avec tout le monde, sauf avec moi ? Je le vois sortir quelque chose de sa poche, l’échanger rapidement avec un des mecs contre de l’argent, puis ils s’échangent une accolade. D’accord, je comprends mieux sa bonne humeur affichée. J’arrive avec mon énorme charriot à l’instant où ses acheteurs décampent. Il souffle, me lance un regard noir, grimpe derrière le volant sans me donner un coup de main. J’ouvre son coffre, entasse mes achats, bien heureuse d’échapper à ses yeux meurtriers. Puis, comme je n’ai plus de place, je referme le coffre et commence à remplir la banquette arrière en essayant d’ignorer sa présence. Pourtant, son aura est telle qu’il m’écrase, que mes gestes ne sont pas naturels, que je me sens stressée, impotente. Est-ce normal que je me sente déstabilisée à chaque fois qu’il me regarde ? Je referme, prends de longues inspirations en allant ranger le caddie, respire lentement quand je reviens vers lui.
- Enfin !
Et son « enfin »me blesse.Je ne suis pas la seule à ne pas avoir envie d’être en sa compagnie. Lui non plus, clairement. Alors je me poste devant sa vitre ouverte, je fixe mes yeux aux siens, et prise d’une envie incontrôlable de l’emmerder, je lui dis :
- Je veux aller à la crique.
- Non.
- J’ai vu sur mon GPS qu’on était pas très loin de la crique alors je veux y aller.
Il tchipe, mais ne baisse pas les yeux. Je le saoule et c’est tant mieux. Je refuse qu’il touche une telle somme d’argent en restant seulement le cul dans sa voiture. Et pour enfoncer le clou, j’ajoute :
- J’aurais largement préféré y aller avec JK, mais on m’a forcé à venir ici avec toi donc sois sympa, pour une fois.
Il a cillé. Imperceptiblement mais il a cillé quand même et je l’ai vu tout comme j’ai aperçu ses mâchoires se contracter. Il ne détourne pas les yeux, il ne me répond pas et l’espace d’une seconde, je me demande si je ne viens pas de commettre une énorme erreur. Il pourrait se barrer, me planter là, au beau milieu de nulle part, ou pire, m’agresser encore une fois. Mais quand je recule légèrement, ses doigts attrapent fermement mon poignet.
La brutalité suinte de son corps, ses iris prennent cette lueur bestiale qui m’effraie.
- Je suis un enfoiré, Malo. Je ne serai jamais sympa avec toi parce que je veux seulement que tu dégages d’ici, clair ? Maintenant grimpe dans cette bagnole, je te ramène chez toi.
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Dealers Wicked Tome1 : Isham
RomanceLorsque Malo perd tragiquement son dernier parent, elle n'a pas le choix de se rendre chez son oncle. Si elle pensait savoir à quoi s'attendre en débarquant dans le Dorcoast, elle se trompait puisque la situation du quartier est encore pire que ce q...