Chapitre 6 (2/2): Légendes et charlotte aux myrtilles

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-          Et du coup, tu vas rester là-bas ?

Artie hocha lentement la tête en touillant dans sa tasse de café. Il avait retrouvé sa meilleure amie pour un goûter au centre-ville, avant de rejoindre le reste de la bande pour une soirée en boite de nuit. Artie avait mal dormi, une nuit sans rêve mais pleine d’interrogations.

-          Tu ne veux pas retenter en cherchant ici ?

-          Toutes les agences sont complètes, Charlotte, j’ai déjà cherché.

-          Mais là tu vas juste devenir un… Un vieux con de la campagne, du coup.

-          Peut-être. J’ai des bons exemples autour de moi, en tout cas.

La jeune fille le frappa sur le dos de la main, faussement en colère. Elle était plutôt inquiète, pour lui et sa santé mentale. Charlotte était le genre de fille qui n’aimait pas particulièrement faire la fête. Elle aimait les sorties patinoire ou cinéma, les sorties bowling ou laser-game… Les gens ivres et la musique à fond, ce n’était pas sa tasse de thé. Elle sortait avec eux seulement pour accompagner Artie, qui lui en était reconnaissant. Pour ce soir, elle avait enfilé une chemise en satin vert d’eau qui faisait ressortir le marron de sa peau, et ses cheveux frisés étaient ornés ci et là de petits ressorts dorés qui captaient la lumière des ampoules du café. Elle était belle, Artie le lui disait sans cesse. Elle le contredisait presque à chaque fois.

-          Même pas une jolie fille dans les environs, comme dans les films de Noël ? Tu sais, une fille du coin qui tient une boulangerie… Et te fera apprécier la campagne.

-          Vraiment, que de vieux croutons… Et Oli.

-          Oli ?

Artie vida sa tasse de café ;il aurait bien besoin de son énergie pour raconter ce qui allait suivre. Il avait besoin d’extérioriser, sur plein de points différents. Il commença par lui raconter la première rencontre, l’attitude froide du jeune homme, ses yeux, puis il s’épancha sur les anecdotes de son quotidien, sur à quel point il le détestait… Et il finit par lui raconter comme il l’intriguait, comme il voulait le comprendre, comment son cœur ratait parfois un battement lorsqu’il était trop proche de lui… Il parla longtemps, Charlotte ne l’interrompit que pour lui proposer un autre café ; qu’il accepta. Elle était une amie exceptionnelle. Mais aussi curieuse, ce qui faisait tout son charme.

-          Donc, Oli, tu l’aimes bien au final.

-          Non, vraiment pas.

-          Mais tu as toi-même dit que tu  voulais le connaître.

-          Je veux savoir pourquoi il m’en veut.

-          Ta maman a dit que c’était une fée.

-          Elle n’a pas exactement dit ça, non…

Il trouvait cette idée ridicule. Oli était sûrement un garçon un peu bizarre, avec une personnalité atypique. Les créatures imaginaires, Artie n’y croyait pas. Il se refusait d’y croire. Charlotte ne le laissa pas s’en sortir si facilement.

-          Je pense que tu devrais lui parler. Revenir vers lui. C’est sans doute seulement un malentendu ?

-          Tu n’as pas vu comment il agit. Il peut faire peur, malgré son joli minois.

-          Tu es intimidé ? Toi, qui n’as honte de rien ?

Il l’était, un peu. Oli le mettait mal à l’aise, tout en lui donnant envie de se rapprocher de lui. Charlotte avait peut-être raison, elle avait souvent raison. Elle regarda son téléphone, ajusta son collier dont le fermoir avait tourné, et ajouta avec engouement :

-          Présente le moi, quand je viendrai te rendre visite ! Je veux rencontrer ton prince charmant !

Il lui fit une de ses meilleures grimaces. Le cœur plus léger après s’être confié à son amie, il lui raconta d’autres choses plus amusantes, et se renseigna sur ses projets à elle. Charlotte voulait devenir journaliste. Elle avait effectué quelques stages, durant lesquels elle avait beaucoup servi d’espresso, beaucoup moins participer au service de presse. Elle songeait maintenant à finir sa licence, et rejoindre un imprimeur local avant de viser plus haut. Elle lui parla de son prochain article, qui porterait sur l’augmentation des prix de l’immobilier. Il accepta de l’aider à se renseigner avec plaisir. Cet après-midi légère et sans prise de tête lui fit le plus grand bien.

La boîte de nuit fut plus ravageuse, il en sortit avec un mal de crâne lancinant et une chemise tâchée de mojito. Ils avaient dansé toute la nuit, sauf Charlotte qui était rentrée deux heures plus tôt. Artie s’était déhanché sur de vieilles musiques remixées, il se souvenait vaguement avoir embrassé une fille qu’il ne connaissait pas… Et s’être dit que ses lèvres n’avaient rien d’attirant comparées à celles d’Oleander. Puis il avait embrassé une autre fille pour oublier cette remarque qu’il s’était fait à lui-même. Il était ivre, mais surtout confus. L’alcool qui venait courir dans son sang semblait porter une vérité qu’il ne voulait pas entendre jusqu’à son cœur. Il rentra en titubant, s’excusa auprès des lampadaires qu’il bousculait sur son chemin. Artie avait toujours aimé sortir danser. Il n’avait jamais bu au point de ne plus pouvoir marcher droit. Peut-être était- il vraiment malheureux ? Ou simplement pressé de s’amuser, de profiter de ses vacances avant de devoir retourner au fond de sa forêt ? Il ne savait pas ce qui lui avait pris.

Sa mère ne le savait pas non plus, cela ne l’empêcha pas de le gronder doucement en l’aidant à retirer son manteau. Elle s’inquiétait. Artie était si désolé de l’avoir réveillé, de devoir compter sur elle pour lui servir un verre d’eau et un paracétamol…

-          Tu sais, maman, je crois que j’ai rencontré une fée.

-          Vraiment ? Elle aurait dû te voler le shooter que tu tenais dans ta main, alors !

-          Il a volé mon énergie. Et mes clefs.

-          Les clefs que tu avais perdues ?

Artie baissa le menton. Il sentait des larmes qu’il ne comprenait pas lui piquer les yeux. Sa mère se pencha au dessus de lui, passa une main réconfortante dans sa nuque en lui tendant un mouchoir.

-          Il a peut-être volé mon stylo, aussi. Et peut-être… Peut-être une petite partie de mon cœur.

-          Tu es amoureux, Albert ?

-          Non !

Non… Il n’était pas amoureux. Il était ensorcelé. Maudite fée avec ses yeux sanpaku. Il repoussa maladroitement la main de sa mère.

-          Je vais aller me coucher.

-          Fais de beaux rêves, mon fils.

Il renifla bruyamment, se laissa tomber sur le lit, et ferma les yeux presque immédiatement. Le sommeil l’enveloppa, alors qu’une voix sortie de ses souvenirs vint lui murmurer comme une berceuse : « Tu es amoureux, Albert ».

Fairy Ring On My FingerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant