Risibles Amours

13 : Ce sera "tu"

    Swann rangea avec empressement ses affaires et se dépêcha de quitter la salle de classe. Le dernier cours de sa journée venait de se terminer et il allait attendre Tristan, qui lui, finissait dans une heure. C'était aujourd'hui. Aujourd'hui qu'ils retourneraient voir Elie, comme promis.

La matinée passée avec Hava la veille l'avait boosté. L'énergie éclatante de la jeune femme était contagieuse. En rentrant chez lui, il avait saisi son portable et contacté son ami sans réfléchir à deux fois.

— Eh, attends moi ! Tu vas où comme ça ?

Elouan apparut à ses côtés, le souffle court. Il posa un bras sur l'épaule de son cadet pour s'y reposer.

— Je manque cruellement de cardio, reprit-il. Tu me fuis ou quoi ?

— Pas du tout, répondit Swann en reprenant sa marche, plus calmement cette fois-ci. Désolé, Tristan m'a donné rendez-vous, il va me tuer si j'y suis pas.

— Mais il est encore en cours, non ?

Swann haussa les épaules et Elouan se posta devant lui en le tenant par les épaules.

— Relaxe mec ! Tu vas pas poireauter pendant une heure à l'attendre quand même ! Viens, je te paye un café.

Il finit par le suivre malgré lui, en grognant qu'il n'aimait pas le café.

Les deux garçons s'installèrent en terrasse. Swann parcourut rapidement la carte des boissons avant que son ami ne lui demande :

— Tu veux quoi ?

— Un jus de pomme.

Après avoir commandé, Elouan fouilla les poches de son jean et saisit un paquet de cigarette. Il en porta une à ses lèvres avant de se rendre compte qu'il n'avait pas de briquet.

— Merde. T'as du feu ?

— Non. T'avais pas arrêté la clope ?

L'aîné se figea et ses épaules s'affaissèrent. Il reposa le cylindre blanc sur la table.

— Si, t'as raison. C'est juste que Val' m'a proposé de partager un paquet ce matin, je me suis laissé tenté.

Il saisit son verre de ice tea à la place.

— J'ai croisé ta sœur hier, au restaurant. Enfin, je l'ai vu et je crois qu'elle m'a ignoré. Elle était avec un mec, il me dit quelque chose, mais je sais pas.

— Scylla ? Je savais pas qu'elle était en ville, répondit Swann en fronçant les sourcils, surpris.

— Bah apparemment si. Et ce mec, je suis sûr de l'avoir déjà vu quelque part, vas-y ça me revient pas.

— Et sinon, ta journée d'hier ? reprit Swann en changeant de sujet. Pas trop dur la redescente ?

— M'en parle même pas. J'ai dû m'occuper de mes frères toute l'après-midi. Je les entends encore me supplier de leur dévoiler la cachette à bonbons secrète des parents.

Ilian, Eloi et Lukas. Un joli trio infernal. Il arrivait parfois qu'ils se joignent au groupe d'amis pendant les après-midi chez les García. Trois petits garçons hyperactifs qui ne perdaient pas une occasion de s'incruster avec les plus grands.

— Dis-leur que je leur apporte un paquet chacun la prochaine fois, s'ils sont sages, sourit Swann.

— T'es fou ? Ils vont m'harceler jusqu'à ce que tu remettes les pieds à la maison ! Tu leur diras par toi-même.

Ils rirent ensemble et terminèrent leurs boissons respectives. Elouan avait le don de détendre l'atmosphère dans n'importe quelle situation. Le jeune homme, qui était encore nerveux il y a quelques minutes de cela, ne pensait même plus à ce qui l'attendait ensuite.

Le petit café se remplissait des élèves qui quittaient les cours quand le duo se leva. Elouan prit son ami dans ses bras et s'écarta en lui souriant.

— Courage mon pote.

Swann lui sourit à son tour, reconnaissant. Et il reprit la direction de l'école pour rejoindre Tristan. Cette fois, pour de bon.

***

Son cœur battait à tout rompre en arrivant dans l'allée de gravier. Il frémit lorsque le vent se leva, balayant quelques feuilles mortes. Quelques nuages couvraient désormais le ciel. Le silence régnait en maître. Un silence de mort. Seulement dérangé par le bruit des pas sur le gravillon.

Swann fit face à la pierre tombale. Rien n'avait bougé depuis la dernière fois.

— Swann...

Le concerné se retourna vers son ami qui s'était arrêté à quelques pas de lui.

— Est-ce que tu veux que je laisse ?

Silence.

Le vent se remit à souffler, accélérant la course de la goutte d'eau qui se profila sur la joue du jeune homme.

— Oui, s'il te plaît.

— D'accord. Mais n'oublie pas, quoi qu'il arrive, je suis là. Tu n'es pas seul Swann. Je vais t'attendre à l'entrée.

Il lui lança un sourire qui se voulut rassurant et Tristan tourna les talons, dans un dernier regard vers lui.

Désormais seul, Swann s'accroupît près de la tombe. Il récupéra les fleurs qui avaient fanées depuis la dernière fois.

— Je suis désolé... j'ai pas pensé aux fleurs cette fois.

À peine eut-il prononcé ces mots qu'il fut submergé par les larmes. Le jeune homme se laissa tomber par terre, parcourut de soubresaut. Il porta une main à son visage, dans l'espoir de parvenir à calmer ses pleurs.

C'était trop dur. Lui parler. Lui parler comme s'il ne s'était jamais rien passé, comme si elle était encore en vie et qu'elle lui répondrait. Mais non, aucune réponse ne viendrait jamais. C'était trop tard. Trop tard pour lui dire à quel point elle comptait pour lui, à quel point il aimait son rire, son regard perçant. Ses fossettes qui se creusaient lorsqu'elle lui souriait. Les tâches de rousseur sur son nez. Et puis le son de sa voix. Le son mélodieux de son prénom prononcé par la fille qu'il aimait de tout son être. Depuis trop longtemps.

Trop tard.

Swann prit une grande inspiration et leva les yeux vers le ciel pour se donner du courage, tout en jouant nerveusement avec les pauvres plantes entre ses doigts.

— Ellie... je m'en veux tellement de ne pas te l'avoir dit tant que je le pouvais encore. Si tu savais... si tu savais à quel point tu étais formidable.

Respirer.

— Si j'avais pu... prendre ta place ce soir-là, je n'aurais pas hésité une seconde. Si tu me vois, si tu m'entends vraiment...

Une goutte. Deux, trois. Ce n'était plus ses larmes, mais la pluie qui s'abattait sur lui.

— Si tu m'entends vraiment Ellie, je veux que tu saches que je t'aime... tellement ! Si j'avais su, si j'avais été moins lâche, je t'aurais tout dit avant... Je t'aimerais toujours et tu seras pour toujours dans mon cœur, c'est promis.

La pluie s'intensifia et Swann se releva sans quitter du regard l'inscription sur la pierre de sa bien aimée. Malheureusement, on ne l'a lui rendrait jamais. Un jour ou l'autre, il devrait s'y faire. Se faire au vide qu'elle lui avait laissé.