Risibles Amours

6 : Je suis pas bien dans mes baskets

— Tes crêpes sont toujours aussi délicieuses Eric ! s'exclama Laurence en terminant son assiette.

— Restez pour dîner enfin ! proposa Suzanne, la mère de Tom.

— C'est que Swann doit redescendre ce soir et le dernier bus est à 18h00...

— Mais Tom peut le ramener, n'est-ce pas chéri ? demanda la mère, même si sa question n'en était pas vraiment une.

    Tom hocha la tête avant de reporter son attention sur son assiette. Les deux jeunes qui étaient autrefois si amis s'étaient seulement salués et ne s'étaient plus adressés la parole depuis. Chacun restait dans son coin, tels deux adolescents, alors que Scylla participait vivement à la conversation des plus vieux. Les éclats de rires fusaient par moment, mais Swann était trop plongé dans ses pensées pour s'imprégner de cette ambiance.

— C'est bon comme ça Swann ? interroga Laurence en se tournant vers son fils.

— Oui, oui.

    En vérité, celui-ci voulait seulement rentrer chez lui, le plus tôt possible.

— Les garçons, vous pouvez aller acheter le pain ? demanda Suzanne en faisant la moue.

    Tom se leva pour récupérer le billet que sa mère lui tendait. Swann l'imita et alla attendre sur le palier pendant que son ami d'enfance enfilait ses chaussures.

    Ils sortirent finalement et descendirent la route qui menait au petit village. Il faisait légèrement frais mais la température était bonne. Le ciel était encore clair et le soleil ne se coucherait probablement qu'après 21h00.

    Lorsque les rues se firent - très - légèrement plus peuplées, les garçons croisèrent une vieille femme qui les salua chaleureusement. Celle-ci vivait au village depuis une trentaine d'années - pour ne pas dire plus - et les avait pratiquement vu naître. Puis grandir et devenir ce qu'ils étaient aujourd'hui.

    Les jeunes hommes arrivèrent finalement devant la boulangerie. Pendant que Tom entrait, Swann alla s'asseoir sur un banc, à la petite place du village, non loin, observant les quelques maisonnettes de pierre qui se confondaient presque avec la route de la même couleur. Une atmosphère apaisante régnait dans ces rues qui avaient bercé son enfance. Swann avait choisi d'emménager en ville pour suivre ses études, mais également car il ne se sentait pas de vivre isolé. Cependant, quitter quelques fois la ville pour retrouver la montagne lui faisait toujours le plus grand bien. Et s'il avait conscience d'une chose, c'est qu'il devait s'éloigner quelque temps de l'atmosphère étouffante qui régnait en bas. Ce dimanche aura au moins servi à quelque chose.

    Swann releva la tête en voyant Tom s'approcher, chargé de trois baguettes de pain. Le jeune homme se redressa et traversa la route - évidemment, sans passage piéton - pour aller jusqu'à lui. Il récupéra une des baguettes pour le débarrasser et Tom le remercia dans un sourire.

— Alors, tes études ? T'es dans quoi ? Ça te plaît ? Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vu, désolé, je suis plus vraiment à jour, tenta-t-il d'engager la conversation.

— T'inquiètes. Je fais des études de commerce et, ouais, c'est pas mal. Et toi, t'en es où ?

— Je me suis trouvé un appart plutôt cool, plus grand que l'ancien pour un bon prix. C'est vraiment pas facile en plein centre de Shreveport. J'emménage la semaine prochaine avec ma copine.

— Ah, cool, déclare Swann en hochant la tête.

— Et toi, t'as trouvé quelqu'un ? demanda Tom.

— Euh... non, répond le jeune homme en sentant son cœur se serrer. Disons que je ne cherche pas trop.

— Ah, tu préfères te concentrer sur tes études ? Je vois, c'est sûrement mieux.

    Il y eut un long silence pendant lequel Swann espéra que le sujet fatidique ne serait pas abordé. Il ferma quelques instants les yeux, comme si ses pensées se feraient plus puissantes et qu'elles l'atteindraient.

— Hé, ça va ?

    Swann rouvrît brusquement les yeux en hochant déjà la tête.

— Et... pour Ellie ? demanda Tom, hésitant. Tu... ça va mieux ?

    Ça y est. Malheureusement, ses pensées n'avaient visiblement pas atteint le ciel et la grâce divine. Depuis la mort de la jeune fille, les deux amis ne s'étaient pas vraiment étalés sur le sujet. Il existait une blessure profonde chez chacun - même s'ils la prenaient avec différentes façons - et ils avaient évité à tout prix d'en parler. Et même si Tom s'en était plus ou moins remis, il se doutait que pour Swann, qui était beaucoup plus proche d'elle, tout serait plus compliqué.

— Oui, se contenta de répondre Swann après une courte pause. Se braquant complément.

    Tom perçut immédiatement la tension chez son ami et s'empressa d'en s'excuser :

— Je suis désolé Swann, je n'aurais pas dû parler... d'elle. Je sais que c'est compliqué pour toi.

    Le reste du trajet se fit dans le silence le plus complet. On n'entendait que les bruits de pas et les souffles courts après l'effort fourni pour gravir la montée menant au minuscule appartement de campagne. Du haut de la petite colline, la vue s'étendait sur le village un peu plus bas, seule la tour de l'église se détachait du reste des maisons qui semblaient ne faire qu'un.

— Tu viens ? appela Tom.

    Swann qui s'attardait sur la vue le rejoint rapidement. Ils montèrent au premier étage et attendirent qu'on vienne leur ouvir.

    Le trajet jusqu'à la ville fut assez gênant. Le silence l'accompagna et lorsque Swann poussa enfin la porte de sa maison, il soupira de soulagement, heureux malgré tout de se retrouver chez lui.

    Il profita du réseau – qui ne marchait pratiquement jamais à la montagne – pour checker ses nouveaux messages. Un message de Elouan, lui proposant de venir chez lui le lendemain, un autre de Valentin, lui demandant comment il allait, mais aucun signe de vie de la part de Tristan.

    Il répondit rapidement à ses amis avant de monter prendre une douche. Celle-ci dura une bonne vingtaine de minutes et Swann alla finalement se poser devant la télévision, à la recherche d'un bon film.

    N'ayant rien trouvé de bien intéressant, il se résigna et regagna le premier étage pour se vautrer dans son lit. Ses pensées rejouèrent la journée épuisante d'aujourd'hui, Swann avait l'impression qu'il avait quitté la ville il y a une semaine tellement il se sentait épuisé.