ÉPILOGUE

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 L'exécution de la colonelle Morgane Othello fut planifiée deux jours après son jugement par le Grand Tribunal d'État.

Le procès avait duré cinq jours au total, et s'était déroulé dans la plus grande discrétion. L'affaire n'avait pas été médiatisée pour éviter des manifestations dans la capitale. Lorsque le commandant Baptiste Lyraispaix, derrière le banc des témoins, avait entendu la sentence, il n'avait eu aucune réaction. Il s'était contenté de fixer d'un regard absent la Manipulator qui, comme à son habitude, n'avait dévoilé aucune émotion. Son œil unique avait néanmoins brillé d'une lueur étrange, un mélange entre la résignation et l'indignation.

Bien sûr, le commandant Baptiste Lyraispaix n'avait pas été épargné. Quand il était passé de témoin à accusé, le Manipulator avait conservé toute sa fierté, acceptant son sort comme si c'était lui, le condamné. Le commandant Clément Krasny ne lui avait néanmoins pas menti : il avait échappé à l'exécution, mais de justesse, en échange d'une vie digne d'un ermite, loin de la capitale, de l'armée et de la guerre.

Mais il lui restait plus qu'une chose à faire, avant d'abandonner son statut de militaire.

Le ciel était rose, comme les joues d'un nourrisson – ou plutôt comme de la chair à vif. La fraîcheur d'un nouveau jour arracha un frisson au commandant Baptiste Lyraispaix. Nouvelle-Mérest semblait encore endormie, tandis qu'on s'activait dans une ambiance lugubre, dans l'arrière-cour d'un bâtiment d'apparence quelconque, de la banlieue de la capitale. Quatre soldats – des Dépourvus – entouraient le Manipulator, et tous avaient le regard fixé sur la silhouette en face d'eux, qui se détachaient du mur en béton nu à une cinquantaine de pieds du peloton.

D'où le commandant Baptiste Lyraispaix était, il sentait le regard froid de la colonelle le transpercer.

La Déchiquetée était piètrement vêtue : on l'avait contrainte à troquer sa redingote bordeaux pour une simple tunique en lin, ainsi qu'un pantalon de la même matière. Elle était pieds nus. Ses cheveux pendaient tout autour de son visage, sales et hirsutes. La manche droite de son vêtement flottait dans le vide : on lui avait arraché sa prothèse – son canalisateur –, mais aussi sa rapière – sans grande surprise. Comme chaque magicien qui se respectait, elle était devenue trop dépendante de son canalisateur pour utiliser sa magie sans. On lui avait même retiré son cache-œil, dévoilant son orbite vide d'où semblaient partir toutes les cicatrices qui parcouraient son visage.

Le commandant Baptiste Lyraispaix prit une grande respiration, avant de se mettre en position et de braquer son fusil sur sa supérieure.

— Colonelle Morgane Othello, déclara-t-il d'une voix limpide et forte, le Grand Tribunal d'État vous condamne à la peine de mort pour crimes de guerre et pour crime contre l'humanité. Vous êtes naturellement destituée de vos fonctions de colonelle, et ça sera moi, le commandant Baptiste Lyraispaix, Manipulator d'exception, d'assurer que votre exécution se déroule en bonne et due forme.

Même s'il avait préparé, les jours précédents, son médiocre discours, les mots qui s'échappèrent de sa bouche lui infligèrent une souffrance indescriptible, comme si des lames de rasoir chauffées à blanc transperçaient de toutes parts son corps et son esprit. Le Manipulator respira profondément pour éviter que son cœur s'emballât, tandis que son cerveau lui hurlait de faire demi-tour, de renoncer. Il toisa la Déchiquetée d'un air glacial.

La tuer serait se tué, il le savait très bien. Mais il ne lui restait plus grand-chose pour le maintenir en vie, de toute façon.

Sans surprise, la colonelle ne broncha pas. Le Manipulator entendit le bruit des fusils s'actionner.

Un silence s'installa entre eux. Dans son dos, le commandant Baptiste Lyraispaix sentit le regard inquisiteur des trois hauts-gradés, qui le jugeaient. Quand le corps de la Déchiquetée s'effondrerait sur le sol poussiéreux, il serait contraint de remettre son arme et son long manteau bordeaux, ainsi que toutes les affaires qui l'affilaient de près ou de loin à la vie militaire, avant de les suivre il ne savait pas trop où pour tenter de reprendre une vie normale. Même si sa vie n'avait jamais été un fleuve tranquille, et cela depuis sa naissance.

Hôte & ParasiteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant