Hôte & Parasite

CHAPITRE SEIZE

Kim resserra les pans de son manteau vert olive, en grimaçant. Le vent cinglait son visage rougi par le froid.

    Le ciel était recouvert d'un voile noir. Le Soleil les avait reniés. De rares et timides êtres stellaires luttaient contre ces ténèbres insatiables. Le vent hurlait tout autour de lui, giflant ses oreilles, son nez et les sapins à l'entour. Son soupir se transforma en nuage de vapeur, qui s'envola devant ses yeux picotant de froid et de fatigue.

    La caserne de Villeneuve-lès-Révérends était un piteux bâtiment d'à peine un étage de hauteur, aux murs ridiculement fins face à une météo pareille, en forme de T. La façade s'effritait à certains endroits. Le toit de l'aile droite du bâtiment s'était effondré, laissant rentrer les températures négatives à l'intérieur de la caserne, qui congelaient leurs pauvres os. Toute la Pyramide – à l'exception du commandant Yohan Gariador – avait dû élire domicile dans cette bâtisse qui faisait peine à voir, pour une durée indéterminée. Le chauffage à fioul de la chambre de Kim était hors service, et cela depuis des mois, et personne n'avait eu l'excellente idée de le remplacer depuis.

    Le seul détail qui sauvait leur séjour était le panorama. La caserne avait été construite en hauteur, sur une colline, et leur donnait une vue imprenable sur l'horizon... et sur la frontière entre la Listre et le Serveistein. Kim avait passé des heures à admirer les flancs escarpés du massif des Ferdagung, long d'une demi-douzaine de lieues, qui dominait la forêt de conifères à ses pieds. Le massif était imposant, mais paradoxalement assez modeste : derrière, s'élançaient des pics rocheux qui semblaient déchirer le ciel, de ses dents tranchantes et recouvertes de neige éternelle. De ses un mètre quarante-vingt, le Dépourvu ne pouvait pas s'empêcher de se sentir tout petit.

    La Serveistein était une région montagneuse, reconnue à l'internationale pour son climat impitoyable, sa culture riche et sa gastronomie chaleureuse principalement composée de fromage. Kim n'avait jamais eu l'occasion de la visiter, avant la rébellion, et réaliser qu'elle était là, devant ses propres yeux, mais que mettre un pied sur son territoire froid serait un pas de plus vers la tombe, l'écœurait.

    Malgré l'obscurité croissante, il pouvait voir le château de Dilaretz situé en contrebas. Il était totalement incomparable avec le château de Fortloup : le palais était spacieux, entouré de magnifiques jardins et de fontaines, les murs percés de hautes fenêtres arrondies à leur sommet. Les hommes de la lieutenante Gaëlle Mézec les avait amenés, le lendemain de leur arrivée, afin de leur montrer de plus près. Le bâtiment était devenu un lieu touristique avec le temps, et attirait un nombre important de visiteurs avant la rébellion novatrice, ce qui avait contribué à la dynamisation de cette partie de la région. À présent, il était laissé à l'abandon, trop proche avec la frontière ennemie pour que les touristes eussent l'envie de connaître tous ses secrets. Le Dépourvu avait ressenti un pincement au cœur en voyant le bâtiment désert, les vitres fissurées et recouvertes de poussière, les portes fortement scellées. Il aurait rêvé visiter le château dans son intégralité.

    Cela faisait quatre jours que la Pyramide était là – Kim comptait les journées loin de la capitale comme un homme comptait ses jours d'emprisonnement dans un bagne. Le temps passait à une lenteur exécrable, et aucune menace novatrice avait pointé le bout de son nez pour l'instant. Le Dépourvu maudissait le commandant Baptiste Lyraispaix pour les avoir embarqués dans une affaire pareille, mais Kim ne préférait pas aborder le sujet avec quiconque. Depuis leur arrivée, Kim voulait être seul – la compagnie des autres l'irritait. Les entraînements avec la Déchiquetées s'étaient inévitablement suspendus jusqu'à nouvel ordre, ce qui n'avait fait qu'amplifier sa frustration.

    La Déchiquetée n'avait plus de temps à lui accorder. Elle enchaînait les discussions avec la lieutenante Gaëlle Mézec et le commandant Baptiste Lyraispaix. Kim devenait de plus en plus maussade au cours des jours qui passaient.