Introduction

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Telos

Les jambes au-dessus du vide, je caresse Cerbère en fixant le ciel violet des enfers, à moitié assoupi.
Je suis au bord de la falaise ouest de la cité, et même si c'est assez loin du hameau central, j'entends encore les nymphes qui discutent et les âmes perdues qui chantent au loin.

C'est encore la fin d'une journée, similaire à la veille. Tout est toujours pareil ici...
Le dos contre les roches, je m'étire rapidement et me redresse en gratouillant la tête gauche de Cerbère.
Ses longs poils noirs glissent entre mes doigts et il couine de satisfaction.

- Toi au moins, tu passes une bonne journée... je murmure à l'animal imposant qui me fixe avec les yeux jaunes pétillants de joie.

J'observe un instant le fleuve de l'Achéron qui ruissele une dizaine de mètres plus bas en me mettant en tailleur, tout au bord.
J'aime particulièrement le fleuve du chagrin. Son odeur est légère et apporte des brises fraîches par moment. Sa couleur presque blanche attire la lumière et offre un spectacle délicieux.
Dommage qu'on ne puisse pas s'y baigner sans être happé par la tristesse...

- Telos ! Votre mère vous demande !

Je fais volte-face et découvre Lumina entre deux bâtiments. C'est une nymphe servante plutôt proche de ma mère. Elle est gentille mais, légèrement envahissante.
Ses cheveux longs sont aussi noirs que sa peau et ses yeux gris sont toujours amusés. Elle se considère un peu comme ma nourrice.
Même si je n'ai plus du tout l'âge d'être assisté par qui que ce soit.

Je me lève et tapote la tête centrale du chien qui remue la queue sans pour autant me suivre.
Cerbère est docile, mais il est surtout fidèle à mon père.
trahison, moi qui passe des heures à lui faire des papouilles, je mérite son amour et sa fidélité aussi.

- Pourquoi ma mère me demande ? Il est encore tôt. je râle en me traînant jusqu'à la nymphe, bien plus petite que moi.

- Je l'ignore, mais elle paraissait contrariée. explique t-elle en haussant les épaules.

Je baisse les yeux et cherche à comprendre ce que signifie ce signe léger, mais la servante n'attend pas et s'élance d'un pas rapide.

Le haut de sa tête m'arrive au coude, mais ça n'a pas toujours été le cas.
Quand j'étais enfant, nous faisions à peu près la même taille.
Depuis mes 1500 ans, je dépasse tout le monde, excepté mon père.

Hadès est, et sera toujours l'être le plus grand de son royaume...
Il frôle les deux mètres cinquante.
C'est littéralement un géant.

- Vous trainez encore des pieds. siffle Lumina en riant au loin.

- Oui excuse-moi, je réfléchissais. je hoquète et accélère, la rattrapant en quelques enjambées.

- vous faites encore des nuits blanches ? elle me questionne, l'air inquiet.

Je souris doucement en haussant les épaules. C'est mignon qu'elle s'en fasse pour moi, mais étant donné que je suis un dieu, dormir n'est pas indispensable.

- ce sont encore les livres des mortels qui comblent vos nuits ?

Lumina lance la question comme si c'était innocent, mais je capte vite la supercherie.
Cette question ne vient pas d'elle, mais de ma mère.
Elle déteste que je lise des livres qui selon ses mots, "sont une humiliation pour les dieux"...

L'héritier des enfers dans les yeux de l'océan [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant