Chapitre 6 · Mots nocturnes

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Telos

J'ignore depuis combien de temps je barbotte dans mon bassin, mais mes doigts sont fripés et l'eau est froide à présent...
Lumina est à l'entrée de la terrasse où se trouve le point d'eau et elle patiente.
Elle est tournée pour me laisser un peu d'intimité, mais je sens, sans avoir à observer son regard qu'elle est aussi perturbée que moi par cette journée.

Entre le passage d'Iris à mon réveil, la découverte du coquillage, l'agitation dans le palais, la recherche de l'intrus puis enfin la découverte de cette sirène et de la révélation sur notre future destination...
J'en ai la tête qui tourne.

Ce qu'elle a dit à mon père...
Je ne comprends pas.
Pourquoi a-t-elle été envoyée aux enfers dans le seul but d'en apprendre sur moi ?
Et puis pourquoi devons-nous nous rendre chez Poséidon ?
Je ne sais pas grand-chose sur lui, je ne l'ai jamais vu, mais je sais que mon père ne l'apprécie pas vraiment.

Je soupire et observe la grande falaise faisant face à la terrasse.
La cascade de lave coule doucement et éclaire sans mal cette partie du palais.
C'est beau, mais cette beauté reste immuable, ça me rends lasse.

Alors que mes yeux se perdent dans le paysage de ce domaine que je connais par cœur, une autre question prend place dans mon esprit.
La dernière question de Floa était vraiment étrange, et la réaction de mes parents encore plus.
Elle demandait quel était mon titre; mon nom.

- Lumina, approche s'il te plaît. je lance en posant mes bras sur le rebord du bassin en pierre blanche.

La nymphe se retourne en tentant de cacher un petit sursaut.
Elle était dans ses pensées.
Elle avance de quelque pas, prenant place au centre de la terrasse.
Ses yeux gris m'offrent en superbe reflet de la cascade de lave.
Je me perds un instant dans son regard avant de secouer la tête pour poser ma question :

- Lumina, qui suis-je au juste ?

Ses prunelles qui étaient comme éteintes, s'allument suite à ma question et elle cligne plusieurs fois des paupières en penchant la tête sur le côté.

- Vous êtes, Telos ? Navrée mon jeune dieu, mais je ne comprends pas votre question.

- Pardon, je... Comment tu me vois ?

Ma réitération ne semble pas l'aider, elle me regarde comme si j'étais devenu fou.
Je glousse en repoussant mes cheveux humides derrière mes oreilles, collant mon corps nu contre le muret pour être plus à l'aise.
Elle a beau avoir changé mes langes quand j'étais petit, la pudeur reste la pudeur.

- Si tu devais me décrire à quelqu'un qui ne me connais pas, qu'est-ce que tu dirais ? je retente une nouvelle fois.

- Oh, et bien... elle réfléchit un court instant, Que vous êtes le fils du dieu Hadès, et de la déesse Persephone.

- Quoi d'autre ? je lève un sourcil en posant mon menton dans la paume de ma main.

- Que... Vous avez la douceur d'âme et quelques traits physiques de votre père, et le tempérament un peu soupe au lait de votre mère. elle me sourit et je vois qu'elle rougit malgré sa peau brune.

- Donc, tu ne me vois que comme l'enfant de ces dieux...

Cette discussion avec Lumina ne m'a pas vraiment aidé. J'aurais aimé qu'elle me décrive comme le prochain dieu des souterrains, ou au moins comme un dieu tout court.
Mais pour elle, je ne suis que la progéniture des maîtres de ce royaume.

- Bien, apporte-moi une tenue propre s'il te plaît. je soupire.

- Votre chemise de nuit est à votre disposition comme d'habitude Telos. elle me montre la dite chemise pliée soigneusement juste à côté du bassin.

Je secoue la tête et elle se hâte, allant chercher d'autres vêtements sans vraiment comprendre.
Je ne compte pas aller dormir.
Pas avant d'avoir fait un petit tour dans les sous-sols du palais.

Je veux rendre une petite visite à notre prisonnière l'océanide.
J'ai quelques questions pour elle.

Quand je suis habillé et prêt à quitter mes appartements, la nymphe m'attrape le bras doucement.
Je penche la tête en avant pour découvrir son visage crispé.
Elle resserre sa petite main autour de moi et fronce les sourcils.

- Telos, votre mère vous a demandé de ne pas quitter vos appartements ce soir...

- Il faut que je parle à Floa.

Elle écarquille les yeux et se place en face de moi, ouvrant brusquement ses bras pour faire barrage.

- Ce n'est pas une bonne idée !

- Reste ici, tu n'auras qu'à dire que tu ne m'as pas vu partir du salon. je rassure mon amie en parlant d'une voix douce.

- Non Telos ! Je suis désolée mais je ne peux pas ! Vous couvrir quand cela concerne les livres d'Iris ne me dérange pas, au contraire, je trouve cette curiosité touchante et raisonnée, mais vous rendre au cachot pour voir cette nymphe aquatique c'est dangereux ! elle s'agite, totalement apeurée.

Je serre les dents. Je comprends qu'elle s'inquiète, mais je ne suis plus un enfant, et encore moins une simple âme vivant dans la demeure.
Je suis, comme elle le dit si bien, l'enfant des dieux des enfers.
Si je veux questionner cette prisonnière, rien ne pourra m'en empêcher.

- Lumina ça suffit, laisse-moi passer. je grogne, faisant surgir une fumée épaisse et rougeâtre autour de moi.

Là, je reconnais bien la nymphe au service de ma mère. Avec le temps et il m'arrive d'oublier qu'elle ne m'est pas totalement fidèle.
Elle obéit à sa reine avant tout.

- L'océanide est dangereuse mon jeune dieu...

- Je peux l'être aussi. je perds patience.

La fumée tourbillonne maintenant avec précision autour de mes bras et rougit davantage.
Je n'aime pas utiliser ce pouvoir, il me brûle de l'intérieur, il me rend mauvais...
Je ne le contrôle pas totalement.
Je préfère quand ce don apparaît suite à un évènement heureux ou excitant. C'est plus léger et crépitant, alors que quand c'est dû à la colère, ça m'étouffe et m'asphyxie.
Ça me terrifie.

Pour l'instant, ma colère n'a pris le dessus que deux fois.
La première, j'étais enfant, ma mère m'avait puni pour je ne sais plus quelle raison et j'avais brûlé la totalité de ses plants de framboisiers.
La seconde, mon père avait frappé Cerbère qui, d'après ses dires aurait été trop docile avec une âme errante.
Je me souviens encore de la douleur.
Mon corps entier s'est retrouvé recouvert d'étincelles et j'ai fait jaillir une sorte de corde de lave de ma main, qui est venu encerclé mon père.
Il a crié, j'ai arrêté, ce n'était pas réarrivé depuis...

- LUMINA POUSSE TOI !!!

Mon hurlement surprend la nymphe qui s'écarte tremblante et j'en profite pour sortir rapidement.
Je traverse le couloir avec la gorge nouée et quand j'arrive aux escaliers qui conduisent au sous-sol du palais, j'essuie une larme qui s'échappe de mon œil rouge.
Je m'excuserai plus tard auprès d'elle.

Je souffle bruyamment pour reprendre mes esprits et finir la descente plus calmement, mais un grognement me stoppe.
Quelques mètres plus bas, j'aperçois deux daimôns qui montent la garde.

Merde.
Je n'avais pas pensé aux gardes.
Je fais quoi maintenant ?

×××

Telos, en colère contre Lumina

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Telos, en colère contre Lumina.















L'héritier des enfers dans les yeux de l'océan [Pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant