LIANE
- Toujours tu fais du mal puis tu es désolé. C'est toujours ça, en premier tu te rapproches, tout est beau puis tu t'inquiètes, tu t'inquiètes de tout et tu fais du mal.
Cole s'enfourne une nouvelle poignée de chips dans la bouche. Un pied sur le volant de sa voiture, son bonnet défraîchi sur la tête, il regarde au loin et me raconte ses histoires de cœur débridées.
- Je l'ai encore laissée tomber celle-là.
- Je vois de quoi tu parles. Soufflé-je.
Il se tourne vers moi, mâchonnant ses chips. Du sel et des miettes parcourent le pourtour de ses lèvres. Il me détaille de ses yeux en océan et prononce gentiment :
- Stefan ?
Oscar
- Oui.
J'avale ma salive. Cligne des paupières.
- C'est dur les lendemains de soirée ? Rit-il.
Je fuis son regard, je fuis les souvenirs qui me remontent en tête, cette nuit qui n'en a pas été une, qui a été une parenthèse de perdition d'où je ressors, disloquée. Je fuis cette odeur que je sens sur mon corps, la sensation brûlante, comme une morsure, que m'ont laissé les lèvres d'Oscar sur la peau. Je fuis le courage que je n'ai pas eu, cette facilité que j'ai à replonger, je fuis la certitude que je ne peux pas combattre mais que je peux au moins tenter de m'échapper.
- Lee, ça te réussit pas l'alcool, alors pourquoi tu t'entêtes ? Me sermonne Cole.
Il me lance un regard, jouant avec ses sourcils, puis explose de rire. Je lui souris, me tenant à la poignée de la portière.
- Merde, tu es bien la première personne que je rencontre que l'alcool ne fait pas oublier, bien au contraire !
Il se marre, jetant son paquet vide à ses pieds et décoinçant avec sa langue les miettes entre ses dents. Le froid recouvre de buée les vitres. Il me tapote la tête. Son rire est communicatif. Mon corps est rapidement secoué de gloussements nerveux.
- Je ne savais pas que Cole Lucet pourrait un jour avoir des histoires de cœur à me raconter.
Il arbore une moue étonnée, faussement vexée. Je ris.
- C'est bizarre hein ? Lâche-t-il de sa voix éternellement cassée en me souriant, goguenard.
Il passe la main sur la vitre conducteur, dessine des formes dans la buée.
- J'ai l'impression maintenant qu'on est tous là avec nos émotions, à nous tenir à bout portant les uns les autres, avec tout ça. Je me demande qui va exploser le premier, se foutre l'amour au fond de la bouche, le canon contre la joue et se coller une balle. Ou prendre le revolver à l'envers et tirer.
Des sanglots montent dans ma gorge. Je les avale douloureusement. Ce passage du rire aux larmes me coupe le souffle.
- Je ne sais pas non plus.
Ismaël Manssouri. Ismaël Manssouri m'a canardé une balle en plein cœur hier. J'ai fait une hémorragie interne toute la nuit. Ce matin je n'ai plus rien à perdre, même pas du sang.
Cole actionne la poignée de sa portière. L'air glacial du matin vient me harceler. Je suis reconnaissante que Cole m'ait appelé à 7h30, qu'il m'ait tiré inconsciemment des bras d'Oscar, de cette bulle irrespirable, qu'il m'ait donné une raison de me lever, de me soustraire à la passion de son visage endormi, de ses boucles humides de mon essence en accroche-cœur sur ses tempes. Même si je ne sais pas où il vient de m'emmener, je sais que quoiqu'il arrive, je suis en train d'avancer.
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L'odeur des larmes
Teen FictionLes Georgio-Donnaruma forment une famille recomposée et dysfonctionnelle. Leurs parents sont morts il y a quelques années dans un crash d'avion. Élevés par leurs grands-parents en périphérie de la petite ville rurale de Masse , la fratrie est compos...