L'omerta - Part 2

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COLE

Il se demande ce qu'elle voit à travers ses grands yeux noyés. Il se demande si elle le comprend derrière le rideau iodé de ses larmes. Il se demande si les cendres ont une couleur particulière pour elle, une odeur familière, spécifique, capable de lui réveiller des pans de sa mémoire.

Effet boomerang. Il attend que les conséquences de ses paroles et de ses actes lui reviennent. Il attend que la douleur qu'il vient d'exciter en Liane retourne vers lui, sublimée, magnifiée, en quelque chose de plus fort. La douleur est le vase clos d'une puissance incommensurable. Mais elle est si inconstante. Il la compare à la radioactivité. Elle est comme tous ces atomes radioactifs instables qui spontanément et à tout moment, peuvent se transformer en d'autres de leurs semblables au noyau plus stable. Sauf que la douleur mute avec la dangerosité de la radioactivité sans la garanti d'évoluer vers une possible amélioration de son équilibre. Alors il ne mise jamais sur la douleur comme moyen de parvenir à ses fins. Il mise sur quelque chose de plus froid, de plus fixe et de plus solide : le feu de la vengeance. Peut-être que ce brasier peut soigner. Il ne sait pas encore.

Il faudra qu'il teste.

L'atome Liane se transmute sous ses yeux. Entre la désintégration et la douleur, il reçoit les particules émises par la fission de sa mémoire, et les souvenirs qu'elle laisse échapper, en panique. Il cherche une image poétique. Des prisonniers qui se mutinent, renversent les geôliers et s'évadent dans le monde, donnant un vrai sens au mot criminalité. Des fêlés qui échappent à la vigilance des soignants, délaissent leurs chambres stériles pour s'enfuir, comme des enfants et donnent au monde son vrai sens, sans ses contraintes.

Il frisonne.

Non, ça c'est presque la vie, Cole. Ne confonds pas, mec.

Il reçoit la détermination froide de Liane lorsqu'elle comprend qu'il l'a emmenée pile à l'endroit de sa chambre, celle où elle a passé six mois de sa vie internée dans ce fichu hôpital. Elle se relève et son regard vif parcourt les ruines. Il sait que sa mémoire a repris le contrôle et qu'elle s'en sert pour peindre dans sa tête une carte mentale des lieux. Elle s'imagine les escaliers, les lacets des couloirs, la hauteur des passerelles, les dimensions des chambres. Ses yeux rencontrent les pierres écroulées, noircies sur le sol, les contours qu'elles suivent, celles d'une pièce de la dimension d'un lit. Elle lève les yeux au ciel et il sait qu'elle se voit. Elle voit une Liane suspendue au dessus d'eux, inerte et droguée sur un lit puis hurlante, hurlante et tirant sur les sangles qui lui barrent les chevilles et les poignets. Une Liane à nue, qui abîme son regard dans les murs dans l'espoir de s'y exploser.

Il ne sait pas qu'elle n'y voit pas qu'elle. Qu'elle y voit Grand Pa', Grand Ma', Oscar, trop de visages d'Oscar, et jamais Evan. Il ne sait pas qu'elle y entend des voix sorties de bouches flottantes, qu'il est toujours là, à lui parler au creux de l'oreille et que sa voix s'insinue en elle et que c'est comme ça qu'elle s'est attachée à lui. Quand Oscar, l'unique frère qui venait la voir, lui susurrait des mots et qu'elle le prenait pour son petit frère.

Liane lâche le ciel et il reprend sa place normale, immuable, densifié par les nuages en pelote serrée. Elle fige son regard dans le sien, il lui sourit et elle lui répond avec une banalité déconcertante. À l'absence de ressentiment dans son regard, il sait qu'il a gagné.

Elle s'approche de lui. Lui lance un nouveau sourire.

- Brûle Brûle doit cesser d'exister. Nous devons réparer les erreurs que nous avons commises. Je sais quelle doit être notre première piste.

Il hoche la tête, satisfait, brûlant d'une excitation palpable.

- Par la maison d'un certain Monsieur Antonin. Crois-moi, il nous mènera au démantèlement de Brûle Brûle.

Il enregistre le nom tout de suite. Il sait que Liane doit beaucoup en vouloir à cet homme pour lui mentir de la sorte.


LIANE

Nous rejoignons la voiture. Au moment où ma main se pose sur la poignée de la portière, mon téléphone vibre au fond de ma poche. Je le saisis. L'écran diffuse sa luminosité aveuglante dans mes yeux.

Je m'excuse pour hier soir

Est-il écrit en lettres attachées noires.

Quelques respirations plus tard :

Je n'aurai pas dû

Ajoute Stefan.

Dans un soupir je range le mobile dans ma veste. Cole me lance un regard suspicieux. J'entends sa voix glisser jusqu'à moi alors que je monte dans la voiture.

- Lee...

Nouvelle vibration.

STEFAN : Tu veux pas me rejoindre au café de la fontaine ?

Un frisson me parcourt l'échine. Cole s'assoit à ma gauche avec précautions. J'envoie d'un geste rageur la notification du message dans le néant. Au moment où il démarre le moteur et que mes nerfs un à un se froissent, je lui hurle presque :

- On se donne rendez-vous 13h30 à la salle des fêtes. Avant tu peux me déposer au café de la fontaine s'il te plaît ?

En voulant poser ma tête contre la vitre, je me cogne le front contre la paroi dans un accès de rage. Sans broncher, Cole embraye la première.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 23 ⏰

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L'odeur des larmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant