chatpitre 3 、

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— T'as pas peur de ta mère, me reproche Ismaïl alors qu'on se change dans les vestiaires.

Je hausse les épaules en baissant mon jogging, le remplaçant par un short de sport plus ample. Il est passé chez lui alors il est déjà habillé. J'aurais dû faire ça moi aussi, mais j'avais la flemme, à la place on s'est posés au skatepark avec Zazou.

— Elle se doute que je vais pas venir, et comme elle est pas venue jusqu'au lycée, je pense qu'elle a pas cherché à me forcer.

Mon meilleur pote n'a toujours pas l'air serein – contrairement à moi. Il est chou mais vraiment, il se prend trop la tête pour rien, c'est ouf. Il soupire, enfilant ses crampons.

— Écoute, mec, tu fais ce que tu veux de toute façon mais quand même, c'est pas respectueux en vrai. C'est la famille de René en plus, t'abuse, fin, tu l'aimes bien, donc... je comprends pas.
— Ça allait être chiant.
— Je pense que t'as même pas essayé, donc t'es pas en mesure de critiquer.

Je me renfrogne. Je sais qu'il a raison, mais je sais pas, il pourrait être content que je sois là au moins. Il est censé être de mon côté.

— C'est légitime déjà, je veux pas encore devoir me retrouver en tête à tête avec la voleuse.
— T'es le seul qui a pas apprécié sa compagnie ce midi, si je peux être honnête avec toi.

Je ne réponds plus. C'est un peu vexant de me dire qu'ils ne sont pas de mon côté alors que ce sont mes potes, ça me soûle d'autant plus de savoir qu'elle arrive à se faire apprécier. Elle fait exprès de me faire chier ou quoi ?

Je me dirige vers le terrain d'un pas un peu plus agacé, tendu par la situation. Je pense que tout le monde le sent d'ailleurs, parce qu'Ismaïl me jette régulièrement des coups d'œil, ses sourcils légèrement froncés faisant plisser ses yeux en une expression concernée, et le reste de l'équipe a l'air désemparé face à mon attitude inhabituelle.

— Bon, Marius, tu sors là, aboie le coach. Tu nous fais quoi ce soir ? Si t'es pas en forme fallait pas te pointer, hein, tu ralentis tout le monde avec ton jeu merdique.

J'encaisse avec difficulté l'humiliation, heureusement les gars ne font aucune remarque et se contentent de garder un désintérêt bienvenu pour une fois, je l'avoue, moi qui aime tant l'attention. Je m'essuie la bouche avec le dos de ma main, encore essoufflé par le début de la séance. Quand je m'assois, je mets par automatisme ma tête dans mes mains, un long soupir m'échappant.

Je ne sais pas pourquoi je me tracasse autant, au fond. Je devrais m'en foutre, mais je repense aux paroles de mon meilleur pote, je me rappelle ma mère, elle mérite pas ça. Elle mérite pas de se faire planter à chaque fois que je le décide comme un autre homme l'a déjà fait avant moi. Soudain, j'ai la sensation d'avoir quelque chose au fond de la gorge, une force invisible qui m'oppresse de l'intérieur.

— Tu devrais boire un coup, fait Isma en posant sa main dans mon dos.

Il s'assoit à côté de moi, de sorte à ce qu'on se retrouve collés, et il me tend sa bouteille d'eau. Je m'enfile quelques gorgées avant de la lui repasser et qu'il en fasse de même. Il me regarde avec son air là, celui qui est à la fois indiscret mais bienveillant, le regard qu'il me sort quand il sait que je vais pas bien mais qu'on peut pas vraiment en parler, parce que je veux pas. Je sais pas, j'aime pas parler en vrai, dès que ça touche à mes sentiments, c'est trop perso, y'a trop un côté sensible que j'essaie d'étouffer parce qu'il me gêne. J'aime pas, vraiment. Des fois, j'ai l'impression que c'est plus facile pour les filles, mais quand je regarde Zazou, je sais bien que c'est pas forcément le cas, je pense que ça dépend des gens. Je pense qu'Ismaïl ça le dérangerait pas de se confier, mais nous, avec Zaz, on aime tellement pas être comme ça, vulnérables, que j'imagine qu'il ose pas. Je sais pas en vrai, j'crois je réfléchis encore trop.

Je détourne mon regard du sien, incapable de le soutenir sans me sentir frissonner. Ouais, vraiment, j'arrive pas, ça me soûle presque.

— Les mecs ont rien dit quand je suis parti ?
— T'sais bien qu'on s'en fout, ça nous arrive à tous d'avoir des jours sans. C'est pas grave.
— Ouais.

J'aurais voulu le remercier mais ça aussi j'en suis incapable. Je ressemble à mon père quand j'agis comme ça, mais j'ai rien connu d'autre donc je me le pardonne. Je suis pas sûr que tout le monde soit de mon avis à ce sujet, parce que des fois j'utilise ça comme excuse mais au final, c'est pas juste comme lui que je suis, mais comme moi-même. C'est pire, mais bon, faut vivre avec.

J'attrape mon téléphone, que j'avais posé sur le banc avec nos affaires. Ismaïl est concentré sur le match, perso ça m'intéresse plus. J'ai vraiment fui chez moi pour rien, ça craint, mais flemme de faire semblant, personne me surveille non plus d'toute façon.

Je me pince les lèvres en lisant les messages de ma mère. Plus j'enregistre ses mots dans mon esprit et plus ça agrandit le fait que je me sente bizarre. Elle me le dit pas mais elle est déçue. Ça suinte de partout, dans chaque parole qu'on s'échange, dans chacun de ses gestes à mon égard, je vois bien la différence avec les jumeaux. Elle a plus aucune patience avec moi, et en même temps, je suis un cas désespéré, elle attend juste que je change, que je grandisse, que je prenne en maturité, elle cherche encore les signes d'un enfant qu'elle pourrait féliciter, mais ça se sent, ça se sait, elle est dans le déni mais moi, j'ai bien conscience qu'elle attend dans le vide. Je pense pas qu'elle puisse se dire un jour que je sois un morceau de sa fierté. Elle est obligée de m'aimer et de me supporter parce que c'est ma mère, mais à la fin de la journée, je pense qu'elle se souvient pourquoi elle est toute seule face à ce que je représente.

À la fin de la journée, moi aussi je me souviens pourquoi j'en suis là, mais je suis tétanisé par quelque chose, sans avoir la force ni peut-être l'envie de m'en défaire. J'crois j'ai accepté mon sort. Tout le monde n'est pas destiné à être quelqu'un. Tout le monde n'est pas destiné à être quelqu'un de bien. J'ai pas la prétention de vouloir être meilleur que ce que je suis réellement, ou de faire genre de l'être.

— Tu veux dormir chez moi ce soir ? me demande Ismaïl en se tournant vers moi. Ils ont fini là.

Le soleil va bientôt se coucher, mais y'a les lumières du stade qui illumine son visage. Ce mec, il a vraiment un effet reposant sur moi, c'est peut-être pour ça que je me sens aussi lié à lui. Je sais pas, c'est comme une partie de moi. Je pense qu'il le sait. J'espère que c'est réciproque, mais on se dit pas ces trucs là, ça se dit pas sinon c'est chelou, ça casse un peu le côté indescriptible. Je le regarde et ça m'apaise. C'est mon pilier. Et je l'avoue pas, mais vraiment, je lui en suis reconnaissant. Je sais que lui, il me lâchera pas, jamais.

Je lui souris, passant mon bras sur ses épaules dans une lancée tactile. Je veux qu'il sache tout ce que je dis pas à travers nos contacts. Je veux que ça s'imprègne en lui comme des mots auraient pu le faire. Il me sourit en retour, c'est tellement sincère que des fois j'ai presque l'impression de pas mériter cette amitié.

— OK. On pourra jouer à FIFA?
— Évidemment.

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