"Les Derniers" 🚀 Roman SF - En Cours- 15 Chapitres

1. Marcus ©️

Je regarde au loin à travers le hublot de ma chambre hermétique. Dehors, un vent glacial souffle un air irrespirable en soulevant des tourbillons de sable d'un blanc immaculé.
Le ciel noir oscille dans des volutes de gaz aux teintes délicates. Cet océan de couleurs pastel offre au regard un spectacle pyrotechnique en perpétuelle métamorphose.

La vision la plus féerique se produit lorsque le soleil se lève. Les couleurs se mettent à danser comme mille petits feux qui s'allument. Des myriades de paillettes mauve et grenat scintillent et diffusent de la lumière dans tous les sens comme une explosion incandescente.

La stérilité et l'inhospitalité de cette terre où rien ne pousse n'ont d'égale que sa beauté si particulière. C'est sur cette exceptionnelle merveille inféconde que nous sommes condamnés à vivre à présent. Une embarcation froide et sans vie, qui sert de radeau à une humanité naufragée.

Le temps dans nos bulles aménagées s'est écoulé doucement. Les années sont passées sur mes vieux os, mais m'ont conservé une excellente mémoire. Depuis peu je suis hanté par les événements passés qui surgissent de jour comme de nuit et ne me laissent pas de répit. Je suis saisie d'angoissantes pensées. J'ai peur qu'une fois parti pour l'au-delà ce qui a été ma plus grande réussite et mon plus grand bonheur disparaisse avec moi. J'ai peur que Pénélope et moi nous disparaissions englouties dans notre légende.
Une urgence m'obsède : Je dois absolument écrire le récit de tout ce qui est arrivé. Le temps presse. Avant la fin, avant qu'il ne soit trop tard.

Le moindre détail doit être retranscrit pour la postérité si l'homme à la chance d'en avoir encore une. C'est essentiel d'en laisser une trace quelque part.
Ce récit doit commencer le jour de l'événement qui a tout changé. Le jour de notre rencontre.

C'était La Rencontre avec un grand R. La vraie, l'ultime, celle qui transforme votre avenir, vos objectifs, vos priorités, vos croyances et qui oriente pour toujours votre trajectoire. Un jour déterminant pour nos deux vies. Même si quelque part dans le grand livre de l'univers, les raisons véritables qui nous avaient poussées l'un vers l'autre étaient apparemment différentes. Même si l'avenir avait d'autres projets pour nous et que seules les étoiles au loin en connaissaient les secrets. Même si cette rencontre était cruciale pour le reste du monde, c'était avant tout la nôtre.

Un cadeau précieux et rare, qui donne à la vie une saveur incomparable. J'en garde un souvenir gravé à l'encre indélébile. Encore aujourd'hui, bien des décennies plus tard, ces moments magiques me procurent des émotions intenses. Ma chair en est imprégnée, ils ne me quitteront jamais. Je les emporterais avec moi au moment de rejoindre enfin celle qui m'était destinée et qui m'attend les bras ouverts dans l'autre monde.

Me remémorer cette époque malgré tout ce qui a pu se passer par la suite me remplit de joie. Elle et moi nous étions si heureux.
Que de merveilleuses années passées avec cette femme extraordinaire ! Ma femme. Quelle chance d'avoir connu le bonheur parfait dans ses bras !
Malgré la folie des hommes et la dégradation des conditions de vie sur la planète nous avions construit notre petit monde. Mais le vrai monde allait nous rattraper.

10 novembre 2041... 10 ans avant le chaos.

A cet époque, L'humanité vaniteuse considère sa domination sur la planète comme inaliénable et continue de détruire son propre moyen de subsistance malgré les alertes répétées de la nature depuis des siècles.
L'homme aveuglé par ses besoins personnels et ses envies de consommation excessive, ne raisonne plus que dans l'égoïsme de profiter de tout sans se soucier des lendemains.
L'air est devenu irrespirable, les premiers oxygénateurs portatifs ont fait leur apparition. La chaleur est torride sur l'ensemble de la planète la plus grande partie de l'année.

C'est dans ce contexte particulièrement épouvantable que je suis venue m'installer à Aurora pour y suivre mes études.

Ce jour-là, mon réveil est comme bien souvent brutal. Je suis arraché au sommeil par mon colocataire cauchemardesque qui décide une fois de plus, n'obéissant qu'à ses désirs, d'écouter un de ses morceaux favoris. Un son qui déchire les tympans et le rend complètement dingue. Les accords de guitare stridents et aigus résonnent impitoyables dans la minuscule chambre.

Je regarde d'un œil mi-clos cet énergumène personnification à lui tout seul de l'individualisme,
qui se trémousse dans une danse grotesque sans se soucier le moins du monde du fait que l'horloge indique six heures.

Le bien mal nommé Innocent se rend compte de ma présence et me lance une de ses phrases saugrenues qui a le don de m'exaspérer:

- Salut, blanc-bec. T'entends ça ? Ça déchire !

Avant de replonger dans son univers, où lui seul se délecte de délices auditifs inconnus pour le reste des mortels.

- Tu sais qu'il existe une super invention pour éviter de faire profiter tout le monde de tes divines excentricités ?

Ma phrase se perd au milieu des décibels

- Quoi ? S'écrie-t-il, en me lançant un regard niais.

Autant pisser dans un violon. Je ne peux m'empêcher d'ajouter inutilement :

- Laisse tomber !

Déterminé à ne pas me laisser abattre par cet homme de Cro-Magnon avec lequel je suis obligé de partager mes nuits, je décide de me lever.

Après deux tasses de café bien corsées, me voilà reparti à la conquête du monde.

Je m'immerge avec bonheur dans une fraîcheur matinale que nous n'avions pas connu depuis bien longtemps. Les moineaux seuls survivants volatils à notre auto-désastre chantent une mélodie ravissante. Je savoure, ce moment qu'une légère petite brise sur mon visage rend encore plus agréable.

Étant donné l'heure matinale, j'opte pour mon lieu de prédilection : la bibliothèque municipale. Le seul endroit qui a eu l'intelligence de s'adapter aux habitudes souvent nocturnes ou matinales des rêveurs, écrivains, étudiants et autres bouillons de culture qui écument ces lieux.
L'antre de la connaissance, le cœur des énigmes les plus passionnantes pour moi fervent amateur de phénomènes paranormaux.

C'est là, dans cet endroit monacal où règne le silence sacré du savoir, que le destin nous attendait, Pénélope et moi.
Il ne pouvait en être autrement. Pénélope, étudiante en paléontologie y passe tout son temps libre, dévorée par sa passion pour les origines de l'homme. Et moi, j'y reste des heures entières sans voir le temps passer, à compulser les livres anciens d'histoires extraordinaires.

Bien souvent, les employés, habitués à ma présence quasi-permanente, viennent me tapoter gentiment sur l'épaule à l'heure de la fermeture pour me faire sortir de mon hypnotique quête et me demander de rentrer chez moi.

La rencontre fut imprévue, marquante, décisive. De celle auquelle on rêve et qui n'arrive jamais, puis vous fait prendre un virage à cinq cent degré sans réfléchir alors que vous n'êtes même pas prêt.