~ ᴘʀᴏʟᴏɢᴜᴇ ~

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« Quand tu me manques, je mets la main sur mon cœur et je ferme les yeux. C'est le seul endroit où tu existes toujours ».

Cher Journal,

Cette nuit, j'ai encore rêvé de lui. Et encore une fois, mon rêve s'est transformé en cauchemar. C'est toujours le même schéma : il apparaît en haut de la colline, habillé de son tablier de travail. Son sourire réchauffe mon cœur tandis qu'il m'appelle en agitant les bras.

Le vent fouette mes cheveux, mes pieds s'enfoncent dans l'herbe de la prairie, les pans de ma robe s'agitent dans mon dos. Je me dépêche de le rejoindre. Je dois le rejoindre...

Mais je n'y parviens pas. Jamais. Je cours, encore et encore, dans l'infini du temps, son corps a quelques centimètres seulement du mien.

Une première larme s'abat sur la vieille page de mon journal. 

À croire que mon esprit décide de me faire souffrir même quand je suis censée dormir.

Une seconde s'y ajoute, faisant ainsi couler l'encre qui n'a pas eu le temps de sécher. Je remonte mon châle sur mes épaules en reniflant. 

Dis-moi surtout, quelle est la partie du livre où je suis censée guérir ?

Les mots agissent-ils sur les maux ?

Je suis sur le point de répondre à cette question rhétorique lorsqu'un bruit de moteur détourne mon attention. Styx se lève aussitôt, les sens aux aguets. Bientôt, ses aboiements détruiront le silence assourdissant de cette douce nuit d'été mais ce n'est pas dérangeant. Après tout, il ne fait que son travail : Protéger et servir son maître, celui pour qui il pourrait donner sa vie. Mais ne sait-il pas que celui pour qui il serait prêt à se sacrifier n'est déjà plus de ce monde ?

Cette pensée me noue la gorge. Cet animal agit comme la plupart des membres de ma famille : il est dans le déni, perdu dans une réalité qui n'est pas la nôtre, oublié entre le réel et l'irréel, dans ce qui existe et ce qui n'existe pas. 

Le bruit de moteur se rapproche. Je dépose mon journal sur la petite table afin de m'approcher du perron, le berger allemand sur les talons. À minuit passé, je me demande bien qui vient nous rendre visite.. et Styx semble se poser la même question. Un grognement strident s'échappe de ses babines retroussées. 

Une musique explosive m'agresse les tympans alors que le bruit de moteur glisse entre les solides barrières du ranch. Je reconnais une voiture. Ou plutôt un vieux pick-up des années 80 qui semble avoir fait son temps. Dans un dérapage à peine contrôlé, il s'arrête à mon niveau. 

À son bord, plusieurs personnes se disputent une place, bouteilles à la main. Combien sont-ils ? Beaucoup trop pour une si petite voiture, cela va de soit. Les personnes assises à l'arrière me lancent des regards amusés, bien que celui des deux seules filles de la bande soient bien loin d'être amicaux. J'observe la scène en silence, les poings serrés. En reconnaissant certaines têtes, je comprends vite pourquoi ils sont ici et autant qu'on se le dise, ça me met hors de moi. 

Sur le perron, la tension est palpable. Styx ne relâche pas ses grognements qui s'intensifient au fur et à mesure que les minutes passent. Personne n'ose sortir en voyant le berger allemand prêt à l'assaut. Qui aurait envie de finir avec une fesse en moins ? Personne, assurément. 

- Est-ce que vous pouvez baisser la musique ? -- demande-je d'un ton glacial – Ici, tout le monde dort.

Au bord du pick-up, les rires fusent. Je sais qu'ils se moquent de moi parce que je ne suis pas comme eux. Problème : c'est le dernier cadet de mes soucis. Je les ignores en croisant les bras sous ma poitrine de sorte à me donner une contenance. Malgré ce qu'ils pourraient croire, ils ne m'intimident pas. Ici, ils ne sont pas en position de force. 

Butterfly EffectOù les histoires vivent. Découvrez maintenant