Chapitre 3

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POV de Pierre

Il règne une bonne ambiance ce matin, malgré le stress des evals, la joie de participer à ce qui ressemble à une grande colo a pris le dessus. Chacun explore, joue de la musique, chante à tue-tête, le café coule à flots, la pluie dehors aussi. Autant j'adore ça, autant l'ours en moi est un peu perdu. Je suis pas forcément solitaire, mais j'ai l'habitude d'avoir des repères, et là je prends encore mes marques.
J'ai l'impression d'être un insecte : le château grouille comme une fourmilière et je recherche ma reine. Helena, c'est celle qui me fait me sentir à ma place en un seul coup d'œil. Je sais qu'elle est de mon côté, on se l'ai promis. Du coup, un peu comme dans le jeu du gorille et de la cacahuète, c'est comme si on était l'ange gardien l'un de l'autre. De toutes façons, j'ai pas le choix : j'éprouve un espèce de besoin incontrôlable de veiller sur elle. Cette sensation de vouloir la protéger, je l'ai ressentie tout de suite, quand elle a pleuré. Après tout, c'était à moi de le faire, je suis le Bradley Cooper de ma Lady Gaga !
Hier, par exemple, Helena a fondu en larmes en répétant la chanson de Louane et j'étais bien embêté. Ça, c'est une blessure que je pourrai pas lui guérir, et ça m'a fait un truc, parce que je servais à rien, du coup, de pas pouvoir lui éviter d'avoir de la peine.
Elle a pas parlé de son frère et bien évidemment, avec Marie Maud et Axel, on a pas posé de questions. Alors j'étais encore plus étonné quand cette nuit, elle m'a rejoint sur les marches du perron, où je fumais tranquille. Elle est arrivée tout doucement derrière moi, dans la nuit glacée, et s'est assise à côté. J'avais très envie de passer mon bras autour de ses épaules, mais j'ai pas osé. On s'est même pas regardés, nos deux regards se perdant dans la pénombre du parc. On est juste restés collés comme ça un moment, en présence l'un de l'autre. Puis elle m'a raconté, avec une toute petite voix.
- Mon frère a eu un accident de voiture. Il était pas responsable, même pas conducteur, mais pourtant c'est lui qui est mort. J'avais 5 ans, je lui ai même pas dit au revoir, parce qu'il était parti tôt le matin avec ses amis. Ma mère m'a dit des années après que ce matin là, il était venu me faire un bisou pendant que je dormais. Ça m'a apaisée, de le savoir. C'était mon héros, il était grand, fort, il jouait avec moi aux Barbies et il me chantait des chansons. Je l'adorais. C'est tellement injuste, que je l'aie si peu connu. J'en ai voulu à mes parents de m'avoir fait si longtemps après lui, de ne m'avoir donné que 5 ans à ses côtés. Mais c'est pas leur faute, c'est la faute de ceux qui prennent la voiture inconsciemment et qui foutent des vies en l'air.
Elle me déballe tout ça, d'une petite voix enfantine, sans faire de pause. Comme si c'était déjà prêt dans sa tête ou dans son cœur. Même si je suis hyper touché qu'elle m'estime digne de confiance, cette histoire me bouleverse, pire, elle m'ébranle, et je me mets à trembler comme une feuille.
Helena tourne pour la première fois son visage vers moi. Elle défait son écharpe autour de son cou et l'enroule autour de nos deux têtes. La chaleur de la laine m'enveloppe, mais la chaleur d'Helena m'emporte. Elle parle à mon âme, j'en suis persuadé. Tout en elle résonne en moi et ravive les émotions que j'essaie tant bien que mal de cacher. Je lui tends une cigarette. Elle la refuse poliment, elle est pas là pour ça. Est ce qu'elle voulait juste partager ça avec moi ? Est ce que ça l'empêchait de dormir, d'y penser ?
Je lui chuchote un « merci » en embrassant ses cheveux, sur le dessus de son crâne. Je ne sais pas quoi faire d'autre. C'est encore elle qui se lève la première pour remonter. Mais cette fois, elle me tend les mains pour m'inciter à me relever. Je les saisis, en prenant soin de ne pas m'appuyer de tout mon poids sur elle. Quand je suis debout, à mon étonnement, elle ne lâche pas, elle me guide à l'intérieur du château, dans les escaliers, jusqu'au pallier des chambres. C'est en y repensant allongé dans mon lit, bien au chaud, que je réalise la portée de ce qu'elle vient de faire. Elle est venue me chercher dans le froid, dans la nuit et elle m'a raccompagnée à la maison.

Pierre précieuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant