Gardiens des cités perdues tome 8.5

21.Dex

Écrit par Potato_0607 ❤️

PDV DEX

Aujourd'hui, nous étions censés nous réunir une dernière fois avant la guerre -- car elle est censée survenir aujourd'hui justement -- mais les adultes ont soudainement été appelés par les conseillers, ce qui nous laisse le quartier libre pour la journée, et je ne m'étonne même plus du manque de prise au sérieux de cette prophétie de malheur. Les elfes n'ont de toute façon jamais été très prophéties, contrairement aux trolls ou aux nains.

Alors comme l'ambiance est au niveau zéro depuis deux semaines dans la maison, et qu'on a tout de même reçu l'ordre de ne pas mettre le pied dehors, c'est chacun dans son dortoir, et s'amuse qui peut avec ce qu'il a. Je m'occupe personnellement de résoudre un rubik's cube -- appartenant à Sophie -- en moins d'un millième de seconde, mais j'aurais besoin d'un peu huile, l'objet ne suit pas très bien les mouvements de mes doigts et c'est ennuyeux.

"Tu vas où ? Me demande Fitz en voyant que je me lève de mon lit.

-- Chercher de la graisse dans les ressources de Grady. Tu m'accompagnes ?"

Autant ces derniers jours tout le monde est tendu, autant Fitz est particulièrement maussade, et il m'a confié que c'est à propos de la relation entre Sophie et Keefe, qui s'envenime de jour en jour ; il m'a dit se sentir coupable de ne pas pouvoir les aider à s'entendre mieux. Je trouve ça un peu contraire à son caractère habituel que d'aider son rival, et de se morfondre à sa place, mais je n'ai pas commenté.

Il me regarde maintenant, le cube dans la main, et hésite visiblement à dire oui.

"Ils ont dit qu'il ne fallait pas sortir, tente-t-il de me dissuader mollement.

-- Mais je ne vais pas gâcher de l'huile de cuisine pour faire quelque chose d'aussi trivial que de graisser un mécanisme, contré-je au cas où il voudrait m'accompagner. Les vieux ne sauront rien, je fais un aller-retour rapide. "

Fitz cherche un autre argument, mais il est trop fatigué pour ça ; il finit par se lever et me suivre à l'extérieur.

" Et ça sert à quoi, ce cube ? Me demande-t-il alors qu'on descend l'escalier.

-- J'ai demandé à Sophie, mais elle m'a dit qu'il ne sert qu'à exercer l'activité cérébrale des humains. Selon elle, très peu de gens sont capables d'en résoudre.

-- Et pour nous ?

-- Tous ceux à qui je l'ai fait tester ont réussi en quelques minutes, soupiré-je en regardant l'objet, en piteux état depuis notre rencontre. J'ai pensé à en recréer un qui serait beaucoup plus difficile que celui-là, mais je n'ai pas eu le temps avec ces entraînements qu'on nous a fait faire. Du coup, dès que j'ai un moment de libre je m'entraîne à le faire le plus rapidement possible, et j'en suis à trois dixièmes de seconde.

-- Pas mal.

-- Ouais. Mais j'aimerais bien aller plus loin que le millième, avec mon talent ça pourrait être possible -- je regarde à l'extérieur avant de sortir pour m'assurer que personne ne nous voie puis je sors et Fitz me suit --, je dois juste améliorer un peu celui-là, et comme je n'ai pas les matériaux et outils nécessaires, je me contente de le huiler régulièrement. Mais il faudra bientôt lui redonner un coup de peinture, les cases s'affacent. "

Fitz regarde l'objet et acquiesce. Le fait que je le fasse aussi rapidement le fait beaucoup chauffer, et les couleurs ne survivent pas à le friction de mes doigts. C'est tout de même dommage, l'idée derrière ce cube était originale.

" Voilà, on y est. Ça va me prendre une minute, m'arrêté-je au niveau du cabanon de Grady."

Fitz acquiesce et me laisse faire, regardant le paysage. Puis il fronce les sourcils et regarde la maison.

"Tu ne trouves pas qu'il fait vachement clair, ici ? Dit-il au bout de quelques secondes."

Je ne sais pas trop quoi lui dire, alors je le regarde, mais il réoriente son regard vers la maison.

"Et là-bas, c'est si sombre... J'ai l'impression d'avoir été enfermé dans une grotte pendant des jours."

Je regarde la maison à mon tour, les mains activées à graisser mon cube. Je n'y vois rien d'étrange, mais je crois que je saisis son sentiment.

"Cette histoire de guerre doit nous monter à la tête, réponds-je vaguement, ne voyant pas d'explication à ce phénomène bizarre. Attention, Grizel arrive par là."

Fitz se tapit aussitôt derrière moi, qui suis protégé par le cabanon. Grizel a beau avoir des sens très développés, elle ne peut pas nous entendre de là-bas. Elle semble chercher quelque chose du regard, mais se désintéresse au bout d'une minute et tourne les talons. Moi et Fitz avons retenu notre respiration tout du long, et filons maintenant dans la maison pour ne pas nous faire choper.

En passant le pas de la porte, une drôle d'impression d'oppressement s'abat sur mes épaules.

"Tu sens ça ? Demandé-je à Fitz, qui lui aussi a levé le nez.

-- Oui. Écoute..."

Je me concentre. D'abord je n'entends rien, puis je détecte la voix de Keefe, dont l'écho nous parvient depuis l'escalier. Fitz croise mon regard, et d'un même mouvement nous partons rejoindre l'embrouille, ou quoi que ce soit.

Quelle n'est pas notre surprise de rencontrer Tam et les filles collés à la porte de la chambre de Keefe, non fermée, et de laquelle sortent les voix de Keefe, justement, et Sophie.

"Vous les avez convaincus de se parler ? Demandé-je à Biana en m'accroupissant derrière le groupe."

Elle hoche brièvement la tête, retournant tout de suite à son écoute. Ses sourcils sont froncés. Pourtant personne ne crie.

"Regarde-toi, entend-on Keefe dire avec une condescendance inhabituelle. Tu es incapable de te battre. Mais au fond je te comprends, ce n'est pas à ce monde que tu appartiens. En fait, tu n'en as même pas, de monde, à part celui qu'on réserve aux monstruosités génétiques, mais ça tu dois connaitre."

Ma bouche s'ouvre toute seule, et mon regard croise celui de Fitz. À quel moment Keefe est-il devenu comme ça ?

" Alors c'est moi l'erreur ? Rétorque Sophie, visiblement agacée. Qui ne fait rien de ses journées, ici ? Tu pourras dire ce que tu veux, la larve ce n'est certainement pas moi."

Bien dit, te laisse pas faire.

" Allons. Tu peux essayer de te débattre, on sait bien tous les deux que la faible c'est toi."

Aussitôt, on entend des bruits de lutte, comme s'ils se battaient. Tam se penche pour jeter un œil par l'entrebaîllement de la porte, suivi de tout le monde -- une tour de têtes nous représente actuellement bien --, et je vois Sophie se jeter sur Keefe, probablement pour l'étrangler, mais avoir un gros mouvement de recul immédiatement après.

"Ils sont violets, souffle Tam alors que Sophie se débat pour s'éloigner de Keefe, à présent. Ses yeux sont violets."

Son regard croise celui de Linh. Je ne comprends pas à quoi ils pensent, mais un bruit de tonnerre me fait retourner la tête vers la chambre.

Sophie et Keefe ont disparu.

" Ils se sont teleportés, réalisa Biana avant tout le monde. Vous croyez que c'est le début officiel de la guerre ?"

Une appréhension me prend la gorge. Ils ont disparu dans le néant, sachant que Keefe n'est absolument pas dans son état normal et qu'ils sont les déclencheurs de la guerre. Mais Tam nous ramène à une autre réalité, surtout.

" Keefe avait les mêmes yeux qu'Elerinna."

Et c'est Elerinna qui a prononcé la prophétie. Mon sang ne fait qu'un tour.

"Alors on va la chercher et on lui demande pourquoi Keefe est comme ça !"

Il secoue la tête.

"Désolé, elle n'est pas encore revenue du Tribunal. Elle devrait revenir dans la journée, c'est son dernier jour là-bas, mais on n'a pas moyen de la joindre maintenant.

-- Il faut au moins prévenir le Cygne Noir, lance Fitz. Et leur dire que Sophie et Keefe ont disparu. "

Un frisson collectif nous traverse. Cette dernière phrase est le fait le plus terrifiant de cet après-midi.