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Dans une grande discrétion, Fanny s'était réfugiée auprès de la large cheminée qui prenait quasi tout l'espace dans la pièce à vivre. Cauchemars et peurs les plus enfouis s'étaient emparés d'elle durant son sommeil, l'étouffant jusqu'aux os, les mains près du feu et les doigts tremblants, elle essaya de reprendre contenance.

- Je te déteste ! Je te déteste tu entends ?!

Sa propre voix se déchirant sur sa mère au regard perdu et désespéré revint en charge en agrippant ses épaules pour les rendre plus lourdes que du béton. La gorge nouée, elle rassembla toutes ses forces pour retenir l'explosion de sanglots imminentes, se refusant cette faiblesse en étant presque sûre que tous les habitants de la demeure n'avaient pas encore fermé l'œil. Si elle pleurait, on l'entenderait. Alors elle se recroquevilla là, misérable, nulle, sans importance. Ses yeux verts clos, elle tenta de s'évader ailleurs que dans les pensées de sa triste culpabilité. Elle repensa aux rires enfantins de sa soi-disante  nouvelle amie, lui arrachant un sourire, la brune avait cette habitude de rire à tout et de parler super fort comme si la rousse était à dix kilomètres d'elle. Puis il y avait Jassie, seule sa présence parvenait à calmer les maux de Fanny, la blonde était d'une douceur inouïe, et elle parlait si bas qu'on aurait pu penser qu'elle était muette. Cela allait être amusant de les voir toutes les deux ensembles ce samedi et il ne tarda pas à arriver. Levée une demie-heure plus tard, Fanny n'eut pas le temps de se coiffer qu'elle se rua chez Jassie. Le souffle court, cette course effrénée contre le temps lui arracha des éclats de rire, elle avait hâte, elle se sentait légère, libre.

- Désolée, je suis en retard ! Viens, on sort !

La main contre le cadran de la porte, la rousse peinait à respirer et suait de partout. Jassie se leva de sa chaise de bureau, inquiète.

- Maintenant ?

- On n'a pas une minute à perdre, j'ai une surprise pour toi !

Fanny s'empara de son poing et tira la jeune fille déboussolée vers l'extérieur, madame Olivia qui se trouvait assise au salon lisant un livre ne remarqua pas les deux jeunes filles sortir à la volée. Sur l'asphalte de la rue déserte, alors que la rousse continuait à tirer Jassie vers les grands bois, cette dernière retira rapidement son poing de sa prise puis le massa.

- Désolée, tu peux prendre ma main, à la place. Essoufflée, la blonde la lui tendit discrètement.

Quelques minutes plus tard, elles se retrouvèrent face à de gigantesques arbres. Toujours les mains liées et la tête levée, elles reprirent leur souffle, la poitrine se soulevant et s'abaissant difficilement, Jassie ne put garder ses lèvres closes ainsi ses pupilles cyan brillaient d'une curiosité nouvelle :

- C'est quoi... la surprise ?

- J'ai... j'ai une amie qui habite dans cette forêt. Comme c'est une sortie pédagogique, tu vas apprendre à communiquer avec autre que moi et te faire une amie, tu vas voir, elle est sympa.

Les fins sourcils, quasi invisibles, de la blonde se froncèrent alors qu'elle voulait ajouter quelque chose montrant son mécontentement. Mais une autre fille arriva en courant, coupant court à leur discussion. Fanny sourit en voyant les grands yeux pétillants de Ann.

- Je te présente Ann, Ann voici Jassie.

La brune sautilla sur place alors qu'elle lui tendit la main, pourtant, la blonde n'y répondit pas et intensifia la force de ses doigts autour de ceux de la rousse. Le vent siffla et secoua les feuillages des arbres alors que les yeux cyan semblaient glacer ceux du charbon ardent. Une atmosphère bien déplaisante s'installa, et Fanny perdit à la fois son sourire et sa légèreté de ce matin.

- Jassie... murmura-t-elle en la poussant discrètement par l'épaule.

Cette dernière répondit enfin à la poigne de Ann, pourtant Fanny ne semblait toujours pas convaincue de cet étrange échange. Tout semblait forcé, même ce sourire peu naturel que communiquait Jassie.

- Venez, je vous fait visiter les lieux ! S'est exclamée Ann en claquant des mains, elle aussi ne semblait pas à l'aise.

Le vent froid glaça la peau de leur visage, leur donnant l'impression qu'il brûlait à chaque pas. Alors que Fanny avait retiré sa main de celle de la blonde pour les fourrer dans les petites poches de sa longue jupe aux couleurs unies, elle remarqua que Jassie peinait d'avancer avec sa longue robe noire à dentelles. Elle s'arrêta, et constata le terrain d'un regard vague. Les grosses racines d'arbres sortaient de terre de toute part, et de longues herbes recouvraient le chemin si bien que s'il n'y avait pas eu ces petites roches et ces traces de roux de voiture on n'y saurait où aller. Par conséquent, se déplacer est très difficile.

- Ann, attends !

La brune s'arrêta, Fanny sursauta, son cri qu'elle ne pensait pas si fort avait résonné dans toute la forêt, lui arrachant un long frisson.

- On... on en a encore pour longtemps ?

Peu assurée, elle indiqua la blonde du pouce, la blanchâtre levait péniblement sa robe pour pouvoir marcher plus facilement et n'arrêtait pas de lâcher des "aïe" à mesure qu'elle avançait, les hautes herbes semblaient lui écorcher la peau de ses jambes rougies par le froid. Ann soupira puis s'avança vers Jassie, et brutalement elle la porta sur ses bras, telle une princesse.

- Si vous le voulez bien, j'ai une cabane à encore quelques mètres de là, on y sera tranquille et il n'y a pas de hautes herbes !

Sans se faire prier, elles reprirent leur marche, Ann au devant. Jassie jeta des regards à la rousse en souriant d'un air gêné, Fanny n'y répondit pas et se contenta de marcher en contemplant ses sandales usées. À cet instant, elle se sentait perdue au milieu de nul part, il y avait juste quelques oiseaux chantants, l'air froid qui irradiait peu à peu sa peau, leurs pieds fouettant le sol sans douceur, les quelques feuilles d'arbres qui chutaient çà et là lui chatouillant quelquefois les épaules et le visage. Fanny se sentait bien, et elle aurait voulu que cette petite balade auprès de Jassie et Ann durerait jusqu'à l'éternité.

Pourtant elles s'étaient arrêtées, la blonde descendit des bras de la brune avec difficulté alors que que cette dernière semblait vérifier du regard si cet endroit lui appartenait vraiment.

- Ça y est, nous y sommes !

La rousse leva ses pupilles, de longs bois étaient négligemment posés contre un grand chêne et ne demandaient qu'à s'écrouler, l'un y parvint, formant une cabane bien étrange.

- Wow, c'est minable.

Oups, c'est sorti tout seul.

- Ouais, rit Ann, mais vous êtes là et vous pourriez peut-être m'aider à la rendre meilleure, hein ?!

Jassie et Fanny échangèrent un regard incertain, elles n'avaient quand même pas fait tout ce déplacement pour se fatiguer encore plus qu'elles ne l'étaient déjà ? Et comme si une nouvelle lampe s'allumait sur la petite tignasse de la brune, elle s'écria :

- Oh et, ça pourrait tellement devenir notre planque à nous ! Celle de la rousse, de la brune et de la blonde ! Les trois amies indestructibles à jamais et à l'infini de toute la vie !

Suivi d'un profond soupire, Jassie riposta alors qu'elle avait l'air plus fatiguée que les autres :

- Pas pour moi, je veux me réchauffer et boire un chocolat chaud avec un bon plaid qui me tiendra tout doux la tête !

Le cœur.

L'idée de devenir amies toutes les trois s'imprégna délicatement dans l'inconscience de Fanny, puis elle ria à gorge déployée en se tapant les mains, les joues cramoisies à cause du froid ainsi que de la longue marche, et ses cheveux orangés éparpillés dans tous les sens ; heureuse et comblée de pouvoir se retrouver là avec les deux personnes les plus amusantes au monde.

LA ROUSSE AUX YEUX VERTSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant